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ses salons, me donnerait une apparence de dévouement et de transition personnelle au système dynastique, qui me mettrait en contradiction avec mes antécédens, et que je ne pouvais le faire. Que s’il y a une occasion où la Chambre y aille comme corps, je ne me séparerai pas de mes collègues. Cela mécontente beaucoup mes amis de la Chambre et rend toute faveur parlementaire impossible. Mais je ne veux rien...


Paris, mardi 18 août 1835.

Ma chère Marianne, j’ai pris mal à la gorge avant-hier. Je me suis mis au lit et j’ai appliqué les sangsues. Je suis presque débarrassé. Aujourd’hui j’ai été à la Chambre entendre le rapport de Sauzet sur la presse, afin de pouvoir parler : il est atroce. C’est le libéralisme du boutiquier impérial. Je suis rentré pour prendre des notes. Je serai en état de discuter très bien demain, sauf la gorge. J’espère qu’elle sera améliorée. La majorité n’a pas même voulu nous accorder quatre jours pour lire cet immense projet. Elle veut égorger la Presse, sans l’entendre crier, entre la fenêtre et l’échafaud de Fieschi. Cela fait horreur.

Je ne vois personne pour ne pas parler. Je lis dans mon lit et dans mon coin le plus amusant des livres, Tallemant des Réaux...


Paris, vendredi 21 août.

... Je vais bien maintenant et je crois que je pourrai parler aujourd’hui même ou lundi, si ce n’est ce soir. L’animation des esprits est extrême. Je pense que tu seras contente de ce que je dirai...


Lamartine prononça en effet ce jour même son discours sur La loi de la presse, « cette loi qui restera une date dans les annales des aberrations et des ingratitudes humaines. » Il y avoue que la presse, depuis quatre ans, « sue l’insurrection et l’anarchie. » Mais « bâillonner à la fois le mensonge et la vérité, c’est bâillonner l’esprit humain... » Et qui en a moins le droit que les hommes de Juillet ? Dans un mouvement superbe, l’orateur leur demande s’ils ont oublié l’injustice avec laquelle ils se sont naguère déchaînés contre la Restauration et que peut-être ils expient aujourd’hui. « Oh ! il y a toujours du passé dans le présent ; et les embarras, les impossibilités d’une époque ne sont que trop souvent les conséquences et les expiations d’une autre. » Cette loi marquerait un recul. « C’est toujours ainsi que l’esprit de réaction procède ; il profite de la généreuse émotion des peuples pour les rejeter en arrière, hors de leur voie naturelle : c’est la robe ensanglantée de César qui, secouée du haut de la tribune, précipite le peuple romain dans la servitude. « Le succès de ce discours fut grand : on peut compter sur Lamartine pour n’en rien taire.