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LE MIRAGE ORIENTAL[1]


I

« L’Orient d’autrefois achève d’user ses vieux costumes, ses vieux palais, ses vieilles mœurs. Mais il est dans son dernier jour. Il peut dire comme un de ses sultans : « Le sort a décoché sa flèche ! C’est fait de moi ! Je suis passé !... » — Voilà tout près de soixante ans que Gérard de Nerval écrivait ces phrases qui sont, en ce moment-ci, d’une saisissante actualité.

Or, les vieux habits dont il parle ont été remplacés par les pantalons et les redingotes de nos tailleurs ou de nos Belle-Jardinière ; les vieux palais sont tombés en ruines ou ont été reconstruits, sur un plan nouveau, par nos architectes, les vieilles mœurs de l’Islam se sont tellement modifiées qu’un pacha, attablé sur la terrasse du Café de la Paix, ne se distingue pas de ses voisins. Nos institutions mêmes semblent à la veille de s’implanter jusque dans les plus lointaines contrées islamiques. Comme Paris, Téhéran vient d’avoir ses barricades. Les Egyptiens, avec une audace croissante, réclament un parlement et un régime autonome. Ils vont organiser prochainement, au Caire, une université sur le modèle des nôtres. Sans parler d’autres réformes administratives, consenties par le gouvernement britannique, la récente retraite de lord Cromer paraît annoncer une volte-face complète de la politique anglaise dans ce pays d’occupation militaire. Enfin, la révolution de Constantinople qui naguère éclatait d’une façon tellement inopinée, la

  1. Ces articles ont été écrits à la suite d’un voyage que M. Louis Bertrand a fait, il y a quelques mois, en Orient, avant la révolution qui vient de se produire dans l’Empire Ottoman.