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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/394

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Nous sommes infiniment moins processifs que nos pères et nos procès durent moins longtemps. C’est un goût aboli.

Le Paris de 1908 compte 51 avoués d’appel et 150 avoués de première instance ; en y joignant les 60 avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, nous arrivons au total de 261 personnes correspondant aux procureurs de l’ancien régime ; mais le Paris de 1789 comptait « en titre d’office » 400 procureurs au Parlement et 300 procureurs au Chatelet, c’est-à-dire trois fois plus que le nôtre et, ce qui est effrayant à penser, c’est que, sans parler d’une dizaine d’entre eux qui parvenaient à réunir ce que l’on nommait alors une grande fortune, tous vivaient dans une certaine aisance.

Mais aussi maints procès étaient éternels ; ils passaient, du titulaire qui les avait entamés, à son successeur, souvent même à plusieurs générations de successeurs. Cela s’appelait des « fonds d’études » et entrait en forte considération dans le calcul du prix des charges. Une bonne saisie réelle, une bonne instance d’ordre, une contribution bien étoffée, voilà ce qui, dans le cabinet d’un procureur au Parlement, était en grande estime. Entrer dans ces dédales de la chicane, en déblayer les sentes poudreuses, en parcourir le labyrinthe, moins pour en sortir que pour en prolonger les sinuosités ; compliquer par des incidens les formes naturellement ardues et multipliées, tel était l’art dans lequel un praticien du Palais devait exceller.

N’eût-elle fait qu’alléger la procédure, simplifier l’ancienne cascade des juridictions et anéantir ce chaos affligeant des lois antiques, compilées en des centaines d’in-folio par les commentateurs les plus bavards, que la Révolution de 1789 aurait conquis un titre éternel à notre reconnaissance.

La profusion de charges artificielles, que l’ancienne routine judiciaire avait engendrées, en était venue à passer pour naturelle aux yeux de nos pères ; si naturelle que plusieurs d’entre eux, dans le premier tiers du XIXe siècle, regrettaient la disparition de ces fonctions inutiles qui donnaient de l’emploi à la classe bourgeoise. Berryer le père remarquait avec mélancolie, au milieu du règne de Louis-Philippe, que Sainte-Menehould, sa patrie, bien que sa population n’excédât pas 3 000 âmes, possédait naguère « un bailliage, en certain cas présidial et tribunal de commerce, une maîtrise des Eaux-et-Forêts, une élection (pour les tailles), un tribunal dit des Traites foraines, un autre