Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

directeurs de Madras. Ceux-ci firent d’abord la sourde oreille. Loin de perdre courage devant ce mauvais accueil, lui redoubla ses instances, multiplia les promesses, acheta les bonnes volontés. Il réussit à ce point que, lorsque Chunda-Sahib s’avança avec un renfort français de 2 000 hommes, dont les deux tiers étaient des cipayes, sur Trichinopoly, une garnison de 120 soldats anglais était entrée dans la place dont les ouvrages, sévèrement réparés, pouvaient soutenir un siège en règle.

L’amitié de Dupleix était celle de ces esprits ordonnés qui n’obligent point sans garanties solides. Chunda-Sahib ne fut pas longtemps sans en faire l’expérience. Pour paraître à leur avantage dans Pondichéry, Chunda-Sahib et Mozuffer-Singh durent emprunter quelques lacs de roupies à leur hôte. Ils coloreront cet emprunt d’un prétexte politique et honorable : « Beaucoup d’argent était nécessaire pour entreprendre l’expédition de Trichinopoly. » La Compagnie consentit ces avances imputables sur le gain de la campagne prochaine, mais moyennant une cession hypothécaire de terrains autour de Pondichéry. Certains historiens, qui ont écrit la vie de Dupleix avec cette inlassable admiration dont les hagiographes ne possèdent point le monopole, nous apprennent que le gouverneur donna là un nouvel exemple de ce rare désintéressement qui l’a toujours distingué. Ces panégyristes trouveront toujours en moi le plus décidé des contradicteurs. Vous m’avez écrit, ce mois de septembre dernier, qu’un universitaire[1] venait décomposer sur ce sujet une thèse de doctorat où il ne montrait pas à l’égard de Dupleix des sentimens plus enthousiastes. Je suis charmé de me trouver d’accord avec un historien de profession qui n’a pas dû former son jugement à la légère.

Pour vous parler à cœur ouvert, je n’ai jamais vu en Dupleix qu’un brasseur d’affaires. Cette catégorie d’industriels a ses héros et ses saints. Dupleix faisait « des affaires, » et c’est pourquoi son nom est devenu populaire parmi les politiciens et les gens « d’affaires. » Il est représentatif au suprême degré. Il personnifie les grandes « affaires coloniales. » Au risque de me répéter, je vous avouerai que si ce « colonial » avait vécu de nos jours,

  1. Il s’agit là du remarquable ouvrage de M. Prosper Cultru, Dupleix, ses plans politiques, sa disgrâce. Paris, 1901, in-4o. Je n’en ai pu prendre connaissance qu’après mon retour et bien après que ces lettres avaient été envoyées, et j’avoue que je suis heureux de m’être rencontré, avec ce savant auteur, sur tous les points importans de l’histoire de Dupleix.