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France, ma seule crainte, en arrivant à Madura, était de ne pas rencontrer de jésuites. A peine descendu du train, je me précipitai dans une voiture et ordonnai au « Malabar » de trotter vers la « jésuitière. » L’hospitalité que j’avais reçue à Trichinopoly ne me laissait aucune crainte sur l’accueil que je trouverais à la succursale. La mission de Madura est un modeste établissement perdu sous d’épais feuillages : Le premier Père qui m’y reçut était pour moi un très ancien ami. Je ne l’avais jamais vu, ce Révérend Père Fabre ; mais, depuis dix ans, je ne connaissais que ce nom qui s’attache à tant de découvertes intéressantes. Le missionnaire naturaliste, que je croyais perdu, sans espoir de retour, dans les montagnes de Ramnad, dans le fin fond du Sud de la péninsule, se dressait devant moi. Sans perdre une minute nous montâmes dans sa charrette à bœufs qui nous mena bon train, jusqu’à la pagode de Vichnou dont j’avais bien juste le temps de visiter les enceintes. Quelques heures à peine m’appartenaient avant mon départ pour Tuticorin où je devais m’embarquer le soir même.

De cette pagode, la beauté a été louée par nombre d’observateurs dignes de foi, et je ne vais pas à l’encontre. N’était l’affreux badigeon blanc et rouge qui la bariole par bandes alternées, dans le sens vertical, en l’honneur du bon Vichnou, le monument ne manquerait ni d’élégance ni de grandeur. Mais, hélas ! tout, parois, piliers, statues, tout ouvrage extérieur est barbouillé de cinabre et de craie.

Nous tombons au milieu d’une fête majeure. Les dévots remplissent les mandapams, les cours, s’écrasent sur les degrés des étangs qu’ils remplissent. Au-dessus de l’eau, que l’on devine, c’est un fourmillement fantastique de torses nus et de têtes rasées. Dans les galeries, les femmes se pressent par milliers, drapées de leur pagne national, noir ou bleu foncé, à liteaux cramoisis. Frêles, mignonnes, claires de peau sous le curcuma qui les farde, ces Indiennes sont parmi les plus jolies qu’on puisse voir. Le type est plus pur, plus fin qu’à Pondichéry, à caste égale ; les bijoux plus nombreux et plus riches ; les faces scintillent, chargées d’or et de gemmes. Ainsi parées, ces petites reines de Saba courent, se faufilent, s’empressent par groupes, foulant les dalles de leurs pieds nus dont les entraves d’argent sonnent.

Au voisinage des saintes idoles, elles se poussent, se tassent, se hissent, se dressent de toutes leurs forces, cramponnées au