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nacrées et régulières sous le rose pâle des lèvres un peu trop minces. « Oh ! quant à cela, vous savez, je ne vous réponds pas du passé de Mrs Smithers, car je n’ai jamais soulevé les voiles qui l’entourent. Mais je vous assure que sa fille est charmante, et que vous seriez bien difficile de ne pas en convenir. »

Le jeune homme lui jeta un regard indéfinissable, où une nuance de sentiment semblait se mêler à sa moquerie habituelle.

— Aussi charmante que vous ? demanda-t-il en plaisantant. Les sourcils foncés de miss Lambart se contractèrent sur ses grands yeux, devenus subitement d’un gris froid et métallique.

— Ah çà ! mon cher, — vous sortez de votre rôle. — Du reste, reprit-elle, en retrouvant sa désinvolture souriante, c’est à moi de vous l’indiquer. Comme je vous le disais, je crois que, pour le moment, les ambitions de Mrs Smithers ne se sont pas précisées. Comme beaucoup d’Américaines trop vite enrichies, elle n’a pas su se faire des relations à New-York, et moitié par dépit, moitié par désir de dépenser son argent, elle s’est jetée sur le premier paquebot avec sa fille, espérant sans doute se faire une situation rapide dans un monde où il suffit que les gens soient riches et viennent d’assez loin pour qu’on les reçoive sans faire une enquête gênante sur leur passé ! Comme vous le savez, c’est tout récemment, sur le transatlantique qui me ramenait de là-bas, que j’ai fait connaissance avec Mrs Smithers : et elle m’a avoué avec une noble franchise qu’elle désirait se lier avec l’aristocratie française, ayant elle-même des goûts aristocratiques qui lui rendaient la vie insupportable dans une société plébéienne. — Tenez, la voici, ajouta-t-elle avec son sourire finement malicieux.

Le Fanois se retourna, et vit une grosse dame aux traits pâles et bouffis, surmontés d’une coiffure compliquée, sur laquelle se balançait un chapeau chargé de la dépouille de toute une volière exotique. Elle s’avançait vers eux, les épaules écrasées sous un superbe manteau de renard argenté, la démarche gênée par les plis d’une robe lourde de broderies, et traînant à la remorque une jeune fille, grande et rose. Celle-ci, qui était habillée avec la même élégance exagérée que sa mère, tenait à la main un manchon de zibeline, un porte-monnaie en or serti de pierres précieuses, un face-à-main en brillans, et ses cheveux, d’un blond invraisemblable, étaient couronnés d’une flore aussi variée que la garniture ornithologique du chapeau maternel.