Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se suivaient et se renouvelaient sans lasser un besoin d’occupation, hérité d’une ascendance énergique et tenace, qui avait mis à amasser l’argent la même rage d’activité qu’ils mettaient, eux, à le dissiper. Certes, Le Fanois s’ennuyait souvent dans ce milieu puéril et flottant. Mais il y trouvait de si douces compensations ! Non seulement ses transactions avec les antiquaires lui donnaient l’occasion d’acquérir à vil prix quelques-uns de ces charmans objets dont il aimait à être entouré, mais à force de vivre aux crochets des autres, il était parvenu à réaliser quelques économies qui lui avaient enfin permis d’organiser une existence à lui.

Un beau jour son Mécène mourut, en léguant toute sa fortune à des parens d’Amérique. Ce fut une grosse déception pour Le Fanois ; heureusement, un successeur se présenta bientôt, et peu à peu il s’habitua à son rôle de metteur en scène, — c’est lui qui l’avait ainsi défini, — et devint le conseiller attitré des pèlerins d’outre-mer qu’anime le pieux désir de dépenser leurs millions au profit des oisifs Parisiens.

Ses liens de famille, et sa personnalité fine et charmante lui avaient permis de rester en relation avec le vrai monde, celui qui se tient à l’écart de l’existence cosmopolite ; et Le Fanois jouait le rôle d’intermédiaire entre les transfuges de ce milieu, ceux que tourmente la soif du luxe et du mouvement, et les explorateurs du Nouveau-Monde qui aspiraient à pénétrer dans leur société fermée.

Cependant sa tâche n’avait pris des proportions sérieuses, — il n’était devenu vraiment homme d’affaires, — que depuis qu’il avait fait la connaissance de miss Blanche Lambart. Cette jeune fille, rencontrée dans une réunion de la colonie étrangère, l’avait tout de suite frappé par son air d’intelligence fine « et exempte de préjugés. Il avait trop pratiqué ses compatriotes, pour ne pas s’apercevoir très vite qu’elle avait une origine plus distinguée que la plupart de ceux qui tentaient l’assaut de la société parisienne. Tout en elle décelait une éducation soignée, une facilité mondaine très grande, la fréquentation habituelle d’un milieu raffiné. Cependant, il eut bientôt deviné qu’elle vivait, comme lui, aux dépens de gens qu’elle méprisait.

Lorsqu’ils lièrent connaissance, miss Lambart était la compagne de voyage d’une veuve milliardaire de Chicago, qui rêvait un « beau mariage. » Au premier mot, Le Fanois et