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vendu à la police, ce qui enlève toute autorité à ses déclarations.

Celles de Lajolais ne méritent pas plus de confiance. « C’était un mauvais général de brigade, écrit encore Moreau. En l’an IV, à Strasbourg, sa femme vivait publiquement avec Pichegru, lui le sachant. Cela doit suffire sur le compte de l’un et de l’autre. J’ai entendu dire que Lajolais avait été aide de camp du général Kellermann, actuellement sénateur, et qu’il l’avait dénoncé dans le temps de la Terreur. J’ignore si cela est vrai. » Nous l’ignorons aussi. Mais, ce qui n’est pas douteux, c’est que, compromis, en 1797, par la saisie des papiers de Klinglin, Lajolais a subi une détention de deux ans. Quoique acquitté ensuite par le conseil de guerre, devant lequel il était traduit, il a paru si peu lavé des accusations portées contre lui, qu’il a été jugé indigne de rester dans l’armée et qu’on l’a mis en réforme. Il attribue sa disgrâce aux démarches de Moreau et ses affirmations, lors du procès de 1804, sont visiblement inspirées par le désir de se venger de lui.

Un autre accusateur de Moreau, c’est Concheri, qui a conduit Pichegru chez lui. Moreau connaît à peine ce personnage et ne sait rien de son passé, sinon qu’il a été le secrétaire du général Moncey. « Il était venu une fois à Grosbois, l’année passée, me demander si je voulais écrire à Pichegru, qui était alors à Londres, qu’il avait une occasion très sûre. Je lui répondis que je ne pouvais écrire dans un pays en guerre avec la France. La seconde fois que je l’ai vu, c’est quand il est venu chez moi, un soir, environ sept heures, avec Pichegru. » Il convient d’ailleurs de constater, dès à présent, que cet accusé déclara qu’il ne croyait pas que Moreau eût jamais voulu prendre part aux menées de Cadoudal et de Pichegru.

Tels sont les personnages sur les dires de qui le général Moreau fut impliqué dans le procès Cadoudal, par suite de ses rapports avec Pichegru, dans la mesure où il les avouait. Avant de rappeler, non d’après ses interrogatoires, mais d’après les lettres, encore inédites aujourd’hui, qu’il envoyait à sa femme[1], comment il répond à ses accusateurs, nous devons

  1. Pendant toute la durée de sa détention, Moreau ne cessa pas de correspondre secrètement avec sa femme, grâce, sans doute, à la complicité d’un des gardiens du Temple. Tantôt il emploie « le chemin de la lunette, » tantôt une autre voie. Nous ne savons laquelle et pas davantage ce qu’est le chemin de la lunette. Quant aux lettres que j’ai eues dans les mains, leur apparence comme leur teneur trahit les difficultés au milieu desquelles elles furent écrites. Elles ne portent pas de dates. L’écriture en est précipitée, le style diffus, la ponctuation négligée et, pour les écrire, le prisonnier se sert de feuilles de tout format ou même de bouts de papier. Telles qu’il les écrit, certain que seule sa femme les lira, on doit croire qu’il n’y cherche pas à cacher la vérité.