Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressentir toute révolution planétaire. De sa main de Titan, il a fait sortir l’homme et l’âme humaine d’un monde de splendeur et de vérité. Il les a cueillis dans la pensée même du Dieu créateur et dans le rêve de l’âme universelle, il les a pétris et moulés dans le fleuve des élémens pour les conduire à leur sommet de conscience et de fierté, — et tout cela n’aurait servi qu’à les engloutir dans le néant ? On nous dit que tous les dieux sont morts, que tous les cadres s’écroulent, que vaines sont toutes les lois et vains les pactes et les sermens, et on ne laisse surnager, — sur ce chaos de destruction, — que l’amour sans guide, sans soleil et sans Dieu ? Le mythe Scandinave parlait lui aussi d’un Crépuscule des Dieux, mais il les fait renaître et les transfigure dans un nouveau Walhalla, avec une autre terre et d’autres cieux. Il suffit de formuler la conclusion de la cosmogonie wagnérienne, pour se dire que Wagner ne l’a pas écrite avec sa conscience supérieure de poète-voyant, mais avec sa conscience inférieure de penseur désespéré, influencé par Schopenhauer. Car c’est bien là le dernier mot de cette philosophie pessimiste. A ses yeux le monde et l’humanité ne sont qu’un perpétuel et fatal avortement, et la seule espérance est de mourir en beauté pour ne plus être après…

L’auteur de Lohengrin, le créateur de cette magnanime Brunhilde, pouvait-il en rester là ? Nous allons le voir rebondir de ce gouffre et gravir sa dernière cime avec Parsifal.


III. — LA PÉRIODE CHRÉTIENNE. — « PARSIFAL »

Après son établissement à Bayreuth et l’inauguration de son théâtre jusqu’à sa mort (de 1876 à 1883), Wagner est repris, plus que jamais, par l’inquiétude philosophique. Du paganisme pessimiste il revient au christianisme et à ses espérances consolantes. La question religieuse, l’avenir de l’humanité, ces problèmes l’assaillent et le tourmentent[1]. Mais le philosophe hirsute, à l’œil aigu, à la bouche amère, Schopenhauer est toujours là. Il lui chuchote à l’oreille ses terribles maximes : « L’homme est une bête sauvage. — L’espérance est la folie du cœur. — Au lieu d’identifier la nature avec Dieu, comme les

  1. Voyez Art et Religion, Héroïsme et Christianisme, etc., dans le tome X des Œuvres complètes.