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la question avec le gouvernement autrichien. L’Europe ne saurait toutefois l’ignorer et s’en désintéresser. Le gouvernement ottoman avait déjà beaucoup de sympathies ; il s’en est acquis de nouvelles, et nous espérons qu’elles lui resteront fidèles, par le sang-froid et la modération dont il a fait preuve. Un premier mouvement aurait pu l’entraîner à déclarer à la Bulgarie une guerre dont il aurait été difficile de mesurer les conséquences ; il a préféré remettre sa cause entre les mains des puissances signataires du traité de Berlin ; n’est-ce pas à elles, en effet, qu’il appartient de défendre leur œuvre ou de la restaurer ?

Mais quelles sont les vues ultérieures des puissances les plus favorables à la Conférence, et de la Russie en particulier ? La Porte estime qu’elle seule a souffert des modifications qui ont été apportées au traité de Berlin, et qu’elle seule par conséquent a droit à des compensations. On peut d’autant moins contester à la Porte la légitimité du point de vue où elle se place que, si d’autres puissances demandent des compensations, il est fort à craindre que ce ne soit sur elle qu’on les prélève pour les leur donner : convenons que ce serait là, un singulier résultat de l’œuvre de la Conférence. C’est pourtant celui vers lequel on s’achemine. La première de toutes, la Russie demande une compensation qu’elle cherche et qu’elle trouve dans la liberté des Détroits, de sorte qu’il ne s’agit plus seulement de changer le traité de Berlin, mais encore plusieurs de ceux qui l’ont précédé.

Nous avons des biens trop intimes avec la Russie pour discuter en ce moment sa prétention. Qui sait pourtant si elle ne se trompe pas sur son propre intérêt et si elle n’a pas actuellement plus à perdre qu’à gagner à la libre circulation des navires de guerre à travers les Détroits ? De vieux souvenirs entretiennent ici des préjugés dont nous parlerons peut-être un jour à loisir. A Saint-Pétersbourg même, on commence à se demander si la politique des compensations est la meilleure et si on ne risque pas d’y trouver des surprises désagréables. On a beaucoup remarqué les articles du Novoié Vremia qui conseillent à la Russie et à ses amis de montrer un désintéressement absolu : n’auraient-ils pas plus d’autorité sur la Conférence s’ils n’avaient rien à revendiquer pour eux et s’ils parlaient seulement au nom du droit ? Cela ne vaudrait-il pas mieux que de se laisser conduire par des considérations d’amour-propre ? La vérité est qu’en ce moment, comme il y a quelques mois, la Russie s’est laissé devancer par l’Autriche dans les Balkans et qu’elle veut la