Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si, à l’instar des huit « Commissions générales » qui sont chargées de l’application des lois de 1890 et 1891 destinées à former, dans toute la Prusse, une classe moyenne de paysans par l’établissement de Rentengüter, petites propriétés payables par une rente, la Commission de colonisation n’avait eu à poursuivre qu’un but économique, elle l’aurait atteint dans une mesure que les chiffres cités permettent d’apprécier. À ce compte même, il n’est pas de province de l’Empire qui ne voulût avoir des Polonais. Et si, enfin, Deutsche Kultur ne signifie que méthode d’enrichissement, on ne peut pas contester ses admirables effets. Mais l’œuvre de colonisation se compliquait de desseins politiques dans la réalisation desquels la Commission n’a pas eu le même succès. Après vingt ans d’efforts, elle est réduite à faire cet aveu : « Si l’afflux des Allemands vers l’Est cessait, le danger polonais serait aujourd’hui plus sérieux que jamais[1]. » Quelle est donc l’origine, la nature et la gravité de ce « danger ? »


III

Une grande dame polonaise, visitant un jour un paysan malade, vit, suspendus au mur de la chaumine, trois portraits : Kociusko, Léon XIII et Bismarck. — Comment, dit-elle, Bismarck chez toi ! Tu l’honores donc à l’égal de notre héros national et de notre Saint-Père le Pape ? — Mais oui, répondit-il : ce grand homme m’a révélé à moi, pauvre paysan, que j’avais une patrie polonaise.

Cette anecdote, contée à la Diète, il y a quelques années, par M. de Dziembowski-Pomian[2], projette un trait de lumière sur les causes lointaines et profondes du réveil de la Pologne prussienne. Pendant la discussion de la loi de colonisation, Bismarck commit deux fautes : l’une de tact, l’autre de tactique. En premier lieu, il insulta ses adversaires, vaincus d’avance. A ceux qui craignaient que la noblesse polonaise ne vendît pas ses terres à la Commission, il répondit qu’il comptait sur les séductions de Paris et les tentations de Monte-Carlo. Si cette ironie enveloppait un reproche, elle a opéré de miraculeux retours à la sagesse ; si c’était un conseil, il n’a pas été suivi. La plupart

  1. Zwanzig Jahre, etc., p. 166.
  2. Haus der Abgeordneten, Stenographische Berichte, 21 avril 1904, p. 4177.