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tolérée. Cela va de soi. Le Sultan est, dans un sens très catégorique, « le Défenseur de la Foi, » et, connue me le disait spirituellement un avocat de Constantinople, le Commandeur des croyans doit envisager l’érection d’une église en terre ottomane exactement comme le Pape envisagerait l’érection d’une mosquée dans les jardins du Vatican.

S’il autorise ces constructions d’églises et de couvens, ce ne peut être que la main forcée et en vertu de cet axiome tristement opportuniste : La nécessité donne qualité de permises aux choses défendues en principe. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si l’obtention d’un iradé est, pour nos religieux qui veulent bâtir, une entreprise si ardue et soumise à d’interminables délais. Il en est qui perdent patience et qui, en cachette, prennent les devans, font creuser des fondations, élever un mur, quelquefois un édifice entier, sans que l’administration ait l’air de s’en douter. Mise en présence du fait accompli, celle-ci aurait le droit d’exiger la démolition de la bâtisse non autorisée. Mais ce seraient des complications diplomatiques à n’en plus Finir. De part et d’autre, on préfère composer. Et, encore une fois, le bakchich intervient, jusqu’à la complète régularisation de l’affaire.

Il en est aussi qui recourent à des ruses de Bédouins pour tourner la loi, en attendant l’expédition du fameux iradé. Un directeur d’orphelinat catholique, gros homme réjoui et bon vivant, me contait par quel merveilleux artifice il avait réussi à abriter ses pupilles pendant toute la durée des négociations préliminaires. Le code musulman admet que le nomade qui vit sous la tente n’est sujet à aucune redevance et qu’il peut planter cette lente où bon lui semble. En conséquence, le subtil religieux fit dresser des baraquemens recouverts de toile, où il installa des classes, des ateliers, des dortoirs et une chapelle. Théoriquement, l’autorité n’avait rien à dire puisque, somme toute, le directeur de l’orphelinat et ses élèves vivaient sous la tente, comme les patriarches au désert. Mais c’était tout de même, en fait, une violation impudente des règlemens. Le moudir de la région arrive, un beau jour, avec ses subalternes, et, la menace à la bouche, s’avance vers la porte des baraquemens, afin de constater le délit. Sur quoi, le directeur se mettant en travers, les paumes tendues comme pour écarter un sacrilège : « N’approche pas ! C’est mon harem !… »