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quand surtout on déclare ne pas se placer au seul point de vue de la production et de la répartition, de la circulation et de la consommation des richesses ; quand, à l’économie politique proprement dite, on déclare joindre ou rejoindre la politique tout court ; quand on se déclare pénétré de la nécessité de faire marcher de front les trois notions de Travail, de Nombre et d’Etat, de les montrer constamment en action et en réaction l’une sur l’autre ; quand on déclare croire que la crise présente est double, politique et économique, issue d’une double révolution, politique et économique, — double à la fois et une sous un double aspect, — c’est un sujet auquel il n’est peut-être pas défendu de toucher sans être spécialement et spécifiquement un « économiste. » Dirai-je toute ma pensée ? J’ai peur que l’école économique orthodoxe (si tant est qu’il y en ait encore une) se ressente un peu d’avoir été, à son origine, « la secte, » et il faut que je le confesse, au risque de choir dans l’hérésie : nous sommes quelques-uns qui, — ayant tâché de bien regarder, de bien observer autour de nous, nous appuyant sur l’examen des faits contemporains et de pas mal d’autres, ayant appelé à notre secours, avec la vie, l’histoire devant qui l’impartialité nous est plus facile ou moins difficile que devant la vie, — serions très fortement tentés, cent ans après Mably, de proposer « aux philosophes économistes des doutes sur l’ordre naturel et essentiel des sociétés. » Ou plutôt, nous n’en avons qu’un, mais il est de taille. Nous doutons que l’ordre s’établisse tout seul et de lui-même par le conflit d’intérêts antagoniques. Voilà plus de cent ans qu’on nous a annoncé que la concurrence et la liberté allaient faire ce miracle. Et nous, nous ne disons pas qu’elles ne le feront point, mais nous pouvons bien dire qu’elles ne l’ont pas fait. Nous ne demandons même pas mieux que de nous représenter qu’elles le feraient peut-être, si elles arrivaient à trouver et à fixer le point d’équilibre de tous ces intérêts antagoniques. Mais nous ne voyons pas que jamais ni nulle part elles l’aient ni trouvé ni fixé : et, comme nous ne le voyons pas, nous voudrions pouvoir dire tout bonnement que nous ne le voyons pas. C’est un fait, cela : et tous les Mercier de la Rivière auront beau alléguer que jusqu’ici la concurrence et la liberté n’ont pas eu franc jeu, qu’on ne les a pas laissées faire, qu’on les a empêchées ou embarrassées de mille manières. Nous ne disons pas non : parce qu’elles n’ont encore jamais ni nulle part