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continuer. A ceux qui l’ont précédé et de qui il tient tout ce qu’il est, il doit de ne pas leur imposer une alliance qui serait une dérogation.

Après ce débat d’ordre privé, nouveau débat relatif aux affaires publiques, à propos de la question des inventaires. Landri de Claviers-Grandchamp, par suite de la démission d’un capitaine, catholique et qui ne veut pas manquer à ses croyances, est désigné pour prêter le secours de la force armée à un commissaire de police chargé de procéder à un inventaire d’église. Que doit-il faire ? Quoiqu’une telle besogne lui répugne, il obéira. Il est soldat et ne connaît aucune considération qui puisse primer le devoir militaire. La discipline est la force des armées ; où en serait-on si l’officier donnait l’exemple de discuter les ordres reçus ? C’est la grandeur du métier qu’il suppose, à tous les degrés de la hiérarchie, l’abnégation, le sacrifice du point de vue personnel… Un tel langage paraît au marquis une sorte de félonie. Avant d’être un officier de dragons, Landri n’était-il pas un chrétien ? Au-dessus de tous les sentimens il y a la foi ; au-dessus de la consigne il y a la conscience : on ne discute pas avec Dieu… L’une et l’autre des deux argumentations est d’ailleurs sans réplique. Les adversaires resteront sur leurs positions, sans qu’il y ait aucune chance ni de les réduire, ni de les amener à composition : « Quels temps que ceux qui amènent d’honnêtes gens à se traiter en ennemis ! » dit, ou à peu près, un des personnages. C’est le mot de la situation. — Le troisième acte, consacré tout entier à ce débat qui met aux prises l’idée militaire et l’idée religieuse, est sans conteste la plus belle partie de l’ouvrage. M. Bourget excelle à ces discussions d’idées. Mais ce qu’il importe de noter, c’est qu’elles jaillissent naturellement de l’action ; elles ne sont en aucune manière des hors-d’œuvre et rien ne serait plus faux que de les présenter comme d’admirables digressions. Elles font partie intégrante du drame ; elles sont le drame lui-même. Et c’est ce que nous avons essayé de montrer. La pièce de M. Bourget n’étant ni la peinture d’un caractère, ni la mise en œuvre d’une situation, mais bien l’étude d’un conflit, c’est ce conflit même qui éclate et s’exprime dans ces discussions ; de là leur valeur dramatique.

On voit ainsi comment les deux versions de l’Émigré se conforment l’une et l’autre à la loi de deux genres essentiellement différens. Le roman a pour objet de nous montrer les modifications progressives que subit un être ou un milieu sous la pression des circonstances. M. Bourget nous avait, dans son livre, fait assister à la décadence d’un homme qui sous nos yeux passe de la richesse à la ruine, et de