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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/242

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plus habiles prophètes, s’il y en a d’habiles, seraient bien embarrassés pour le dire. Au premier moment, l’idée d’une conférence s’est présentée à la fois à beaucoup d’esprits, et nous continuons de souhaiter qu’elle se réalise sans y attacher toutefois une importance absolue. Ce qui est important, c’est que l’Europe se prononce sur les atteintes qui ont été portées au traité de Berlin, et qui ne peuvent passer qu’avec son consentement du domaine des faits dans celui du droit. Mais elle peut se prononcer sous des formes différentes, et une conférence n’est pas indispensable pour cela. Elle n’en reste pas moins très désirable, parce qu’elle fournit à l’Europe le meilleur moyen, le plus naturel, le plus logique, le plus convenable, nous dirions volontiers le plus adéquat aux circonstances, de remanier conformément à ces circonstances l’œuvre qu’elle avait solennellement accomplie il y a trente ans. C’est bien le moins qu’il faille une conférence pour modifier l’œuvre historique d’un grand congrès.

Malheureusement une indiscrétion a été commise, sans qu’on sache par qui, sans qu’on sache comment, qui a fait perdre du terrain à la Conférence. M. Isvolski, après avoir passé quelques jours à Paris, est parti pour Londres en vue d’arrêter avec sir Ed. Grey le programme des questions qui lui seraient soumises, si elle se réunissait, et, au moment où il quittait Londres pour revenir à Paris, l’agence Havas a publié ce programme qui a été aussitôt reproduit par les journaux du monde entier : divulgation déplorable, d’abord, parce qu’elle donnait au programme l’apparence d’un projet déjà arrêté, alors qu’il n’était qu’une première esquisse qui devait être soumise aux autres puissances, et notamment à la Turquie, pour être l’objet d’une entente avec elles ; ensuite, parce qu’il y a tout lieu de croire que le texte publié était inexact sur plus d’un point. L’effet a été des plus fâcheux, et il devait l’être. Le programme était trop long ; il touchait à trop de questions à la fois ; il devait inquiéter quelques puissances ; peut-être aussi devait-il éveiller les susceptibilités de certaines autres, qui n’avaient pas encore été consultées au moment où il était publié, comme un texte arrivé déjà à un point de perfection assez avancé. Nous ne rechercherons pas les impressions qu’on a pu en éprouver ici ou là ; il suffira de dire qu’à Constantinople elles ont été très défavorables : or, puisqu’on ne pouvait pas s’entendre avec tous les gouvernemens à la fois, c’est avec la Porte, la principale intéressée, qu’on aurait dû le faire tout d’abord. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Quoi qu’il en soit, le mécontentement a été général et, dans certains milieux, très vif. Le bruit s’est répandu que telle ou telle puissance se refuse-