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user d’une grande circonspection à l’égard du Cabinet français. Le comte Pahlen ne cessait de répéter qu’il ne croyait pas à la stabilité du régime monarchique en France, parce que ce régime n’avait pas de racines dans le pays. D’après lui, ce régime ne pouvait pas s’accommoder du « principe démocratique » qui avait pénétré jusqu’aux profondeurs de l’âme de la nation française. « La royauté, écrivait-il le 16/28 décembre 1837, ne s’appuie plus sur rien et se trouve dans un isolement complet. » On la rend responsable de tout ce qui arrive ; elle trahit sa faiblesse dans tout ce qu’elle entreprend. Tout malheur, toute calamité lui sont attribués. L’affermissement de la royauté ne serait possible, selon le comte Pahlen, qu’à la condition d’une réorganisation complète de la société française. « Le Roi, écrivait-il, ne sera plus désormais qu’un prisonnier d’Etat. Depuis plusieurs années il ne peut se présenter en sûreté dans les rues et sur les places. A l’avenir, il sera réduit à l’habitation de ses châteaux et parcs privés. » Il dit en terminant : « Lorsqu’une nation en est venue au point où en sont les Français, elle a besoin d’autres institutions et d’une réorganisation sociale, ou il faut qu’elle se décompose, car la source de la vie morale a tari. On trouve bien encore en France des individus, mais on y cherche en vain une société. » Ces observations du comte Pahlen, qui pouvaient pourtant prêter à bien des critiques sérieuses, furent très appréciées par l’Empereur. Il écrivit sur ce rapport l’annotation suivante très caractéristique : « Cette dépêche contient des vérités si palpables, que je suis fier, sans être sur les lieux, de l’avoir pressenti en entier. Lisez-la au comte Fiquelmont (ambassadeur d’Autriche). »

Le comte Molé était présenté à Saint-Pétersbourg comme un conservateur très correct : on présumait donc qu’il ne donnerait lieu à aucun mécontentement. Bien plus, on pouvait espérer qu’il contribuerait à l’affermissement du trône et du principe monarchique en France. Le fait ne confirma pas ces prévisions. Dans un de ses premiers discours à la Chambre des députés, le comte Molé prononça textuellement les paroles suivantes : « Nous détestons l’absolutisme et nous plaignons les nations qui connaissent assez peu leurs forces pour le subir. » Le comte Pahlen en fut indigné au plus haut degré et ses sentimens étaient partagés par les représentans d’Autriche et de Prusse. Tous les trois se présentèrent chez le comte Molé pour demander