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et Guizot ne lui dissimula pas son « ressentiment. » Il qualifia même de « représailles » ce second départ de l’ambassadeur de Russie. Le chargé d’affaires fut indigné de ce terme imprudent sorti de la bouche de ce « vindicatif doctrinaire. » La cause de ce départ imprévu fut bientôt éclaircie ; elle n’avait d’ailleurs rien de nouveau ; l’ambassadeur ne voulait pas se trouver à Paris le jour du nouvel an et prononcer en qualité de doyen du corps diplomatique le discours de félicitations au roi Louis-Philippe. Déjà en août, se trouvant à Carlsbad, il avait demandé au vice-chancelier s’il était possible pour lui de s’affranchir de cette insupportable « corvée, » et l’empereur Nicolas l’avait autorisé à se rendre à Saint-Pétersbourg pour le jour de l’an. Sans attendre cette date, Guizot prescrivit à Casimir Perier, chargé d’affaires de France à Saint-Pétersbourg, de ne pas se présenter à la cour le 6/18 décembre, anniversaire de la fête de l’Empereur. Le vice-chancelier donna aussitôt l’ordre à Kisselew de s’abstenir avec tout le personnel de l’ambassade de paraître au palais des Tuileries le jour de l’an. Le 30 décembre, Kisselew avait l’occasion de prendre part à un dîner officiel dont Guizot avait eu connaissance. Le 31 décembre, il écrivit à l’introducteur des ambassadeurs qu’il était souffrant et que, par conséquent, il n’avait pas la possibilité d’offrir ses félicitations au Roi le jour de l’an.

Toutefois, après avoir usé de représailles à l’égard de la cour des Tuileries, l’empereur Nicolas Ier ne voulait pas pousser les choses plus loin et provoquer de plus sérieuses complications. Il voulait seulement « rétablir l’équilibre entre les procédés réciproques. » Bien plus, il se félicitait de voir que cet incident n’avait pas provoqué une « irritation trop vive de la part du Roi et de son gouvernement. » On recommanda à Kisselew de « regarder dès aujourd’hui cette puérile affaire terminée. » Mais le vice-chancelier ne dissimulait pas que « cette puérile affaire » compromettait la position de Casimir Perier à la Cour impériale. La faute en est au gouvernement français. « Guizot, » écrivait le comte Nesselrode à Kisselew le 20 janvier/1er février 1842, « ne s’est point assez rendu compte de la différence entre deux pays, dans l’un desquels la royauté n’est envisagée que comme un parti, tandis que dans l’autre, la société se regarde au contraire, comme ne faisant qu’un, pour ainsi dire, avec la personne du Souverain. »