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donc au séminaire de théologie de Princeton, puis il part étudier en Allemagne, il voyage une année à travers l’Europe ; enfin, revenu en Amérique, muni de titres de plusieurs Universités, esprit richement et diversement doué, travailleur et volontaire, il est nommé ministre d’une église indépendante à Newport, puis d’une importante église presbytérienne à New-York, et mène la vie de pasteur pendant plus de vingt ans. Et comme il est très éloquent, comme par ailleurs il comprend gravement et ardemment ses charges et ses devoirs, que son autorité s’accroît et que les sympathies qu’il inspire s’étendent, ces années sont extrêmement laborieuses. Mais quels merveilleux repos ! Hors de la ville et des soucis il s’évade chaque année ; depuis son enfance, les grandes pêches l’ont emmené l’été dans les contrées encore sauvages et libres de son pays, presque toujours au Canada, et lui servent de prétexte ou d’occasion pour d’admirables flâneries le long des rivières indéfiniment désertes, dans de grands pays sans hommes, sans route, sans barrières, où la nature est à la fois grande et amicale. Il avoue n’avoir jamais résisté à l’appel du mois de juin, et j’imagine que les jours où il partait avec ses guides, ses canots, ses lignes, son fusil, et pas un seul livre, vers les espaces où l’on couche sous la tente entre une rivière et une forêt, lui étaient des jours de libération.

Cependant, c’étaient des haltes trop brèves : elles ne suffisaient pas à réparer l’usure d’une vie très pleine, et elles augmentaient en lui le besoin d’écrire sans lui en laisser le temps. De sorte que, en 1900, cette double raison de sa santé atteinte et de sa vocation certaine d’écrivain lui firent abandonner le ministère actif et accepter à l’université de Princeton la chaire de littérature anglaise qu’il occupe actuellement.

Cette vie modela son talent en ce sens qu’elle le dirigea vers les problèmes de la vie intérieure autant que son penchant l’entraînait aux impressions de nature. Mais elle explique aussi, en partie, les limites de ce talent même. En effet, cette existence laborieuse retarda jusqu’à la complète maturité de l’écrivain l’expression de la poésie qui s’amassait en lui, et il fut longtemps à cause d’elle un amateur plutôt qu’un écrivain de métier.

Sans doute, aucune condition extérieure n’empêche un homme d’être poète, et, parmi les plus grands, beaucoup ont vu leur vocation soumise plus durement à une destinée contraire. Il est cependant assez rare que la jeunesse d’un homme qui a