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« Je ne puis que vous approuver, » ajoutait le vice-chancelier, « de n’avoir point voulu changer ce monologue en discussion. » Les débats eussent nécessairement amené des récriminations et de justes plaintes fondées sur les faits qui se sont produits dans le cours de ces douze dernières années. En attendant, « la grande politique » du ministre français ne veut tenir compte que du présent, sans se soucier du passé. Toutefois, Guizot lui-même revient aux récriminations au sujet de la convention de juillet 1840. « M. Guizot le sait aussi bien que nous, ce qui a isolé la France, ce n’est pas notre Cabinet, c’est l’opiniâtreté de M. Thiers à ne faire aucune concession. Laissons donc 1840 dormir en paix dans son cercueil. » Si le gouvernement impérial n’est pas intervenu dans la politique française au cours de ces trois dernières années et s’il n’a rien fait pour augmenter la brèche dans les rapports de la France et de l’Angleterre, cela prouve seulement la grande modération et la circonspection de la politique russe. Il est remarquable que ce silence du Cabinet impérial ne provoque chez Guizot qu’un sentiment de surprise et non de gratitude. Guizot qualifie les réflexions énoncées par lui de simple monologue. « Nous serions toutefois fâchés, » dit en terminant sa lettre le comte Nesselrode, « qu’il pût croire que nous n’y avons pas attaché l’importance et la valeur qu’elles méritent, et surtout que nous n’avons pas apprécié l’esprit de conciliation qui les accompagnait. Vous voudriez bien au contraire l’en assurer de la manière la plus positive. »

A la réception de la lettre du comte Nesselrode, Kisselew se rendit chez Guizot pour lui en laisser prendre lecture. Après l’avoir lue, Guizot la restitua, remercia et dit qu’il comprenait l’irritation de l’empereur Nicolas à l’occasion des menées de l’émigration polonaise à Paris et des attaques de la presse française. Mais le Roi et ses ministres n’y étaient pour rien. »Cette lettre ne donnait aucune réponse à trois griefs qu’il crut devoir formuler à Kisselew : 1° retour des ambassadeurs à leurs postes respectifs ; 2° absence de déférence pour le Roi de la part des Russes, arrivant à Paris ; 3° différence des procédés dont usait l’Empereur à l’égard du Roi comparativement à ceux qu’il observait vis-à-vis des autres souverains. Ce n’est que lorsque ces questions seraient élucidées d’une manière satisfaisante qu’on pourrait s’attendre à l’établissement de rapports réguliers entre les deux gouvernemens.