plus sévère ; à la bonne heure. Mais je ne puis consentir que ce soit un adoucissement.
« Pourquoi n’ai-je pas vu encore mes conseils ? Je n’ai plus que deux jours pour l’appel en cassation et je crois que c’est le moyen le plus raisonnable. Si le jugement est cassé, alors, je peux traiter sans déshonneur. »
Le pourvoi en cassation, dont parlait Moreau, fut signé par lui vingt-quatre heures plus tard. A tort ou à raison, il était convaincu que le jugement qui le condamnait serait cassé. Tout autorise à supposer que telle était aussi la pensée de Napoléon, on peut même dire sa crainte, car, déjà violemment irrité de n’avoir pu arracher au tribunal une sentence de mort qu’il se serait fait gloire de commuer en une peine moindre, il ne pouvait envisager sans déplaisir l’hypothèse d’une décision de la cour suprême, favorable au condamné. Soit qu’il eût cédé à cette crainte, soit qu’il considérât comme propre à grandir Moreau, sans le faire oublier, une détention de deux années et qu’il préférât l’éloigner du territoire français, le général, en même temps que s’élaborait le décret qui le rayait du contrôle de l’armée[1], apprenait que, s’il se désistait de son pourvoi, remise lui serait faite de sa peine, à condition qu’il partirait pour l’Amérique.
On l’a vu, dans une des lettres qu’il écrivait à sa femme, au cours de sa détention, exprimer le désir de quitter la France. La décision prise par l’Empereur ne pouvait donc que lui plaire et il eût été surprenant qu’il ne l’acceptât pas. Il est certain, d’ailleurs, que Napoléon avait hâte de le savoir au-delà des mers[2]et c’est afin de faciliter son prompt éloignement qu’il ordonna de lui acheter la terre de Grosbois ainsi que sa maison de la rue d’Anjou, afin de lui assurer les ressources dont il avait besoin pour vivre à l’étranger[3].
- ↑ Il fut promulgué le 17 messidor (6 juillet).
- ↑ « Moreau libre en Amérique était moins dangereux pour lui que Moreau prisonnier en France. » (Mémoires du chancelier Pasquier.)
- ↑ Acquise par Barras comme bien national, la terre de Grosbois lui avait été achetée par Moreau au prix de 200 000 francs dont la moitié fut payée comptant. Au cours de sa possession, Moreau l’agrandit et l’embellit, et lorsque, après sa condamnation, Bonaparte, pressé de se débarrasser de lui, proposa de la lui faire racheter, on en estima la valeur à 500 000 francs. Le contrat fut passé entre Fouché, ministre de la police et Mme Hulot munie de la procuration de son gendre, le 9 thermidor an XII (28 juillet 1804). Sur le prix d’achat, les 100 000 francs dus à Barras lui furent payés, plus 40 000 francs que Moreau lui devait d’autre part. Le surplus fut touché par Mme Hulot. Au lendemain du procès, l’Enregistrement avait mis sur la propriété une hypothèque « pour sûreté de 300 000 francs, frais présumés du procès. » Mais Bonaparte fit rayer l’inscription. L’année suivante, le 17 messidor an XIII (6 juillet 1805), Fouché vendit Grosbois au général Berthier, plus tard prince de Wagram, dont les héritiers en sont restés possesseurs. (Archives notariales). La maison de la rue d’Anjou, achetée à Moreau dans les mêmes conditions, fut donnée par Bonaparte à Bernadotte.