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précipité ; il feint d’être uniquement dominé par des préoccupations d’ordre matériel.

« Je pars cette nuit, ma bien chère amie, et on m’annonce que tu me suivras bientôt ; mais, comme je dois voyager nuit et jour, dans l’état où tu es, il n’était pas possible de te faire voyager aussi promptement ; et puis, il te faut bien quelques jours pour les préparatifs d’un aussi long voyage.

« Comme nous allons dans un pays de chasse, n’oublie pas d’emporter mes fusils montés à gauche et les ustensiles qui en dépendent. Tu feras aussi quelques liasses de livres ; il est impossible d’ici que je t’indique ceux que tu pourras emporter. Je laisse à ta sagacité à emporter ceux qui me seront le plus utiles, comme les livres d’histoire, de diplomatie, de philosophie…, etc. Quant à mes campagnes, tu prendras toutes les mesures possibles pour qu’on envoie tout à Mme Hulot, qui mettra les originaux à part et m’enverra des copies sur lesquelles je travaillerai.

« On ne me laisse qu’un très petit moment pour t’écrire ; on m’a prévenu à onze heures qu’on viendrait me chercher à minuit. J’ignore à quoi attribuer ces précautions et autant de précipitation ; mais il paraît à cet égard que les ordres sont très sévères… »

Le silence des documens ne nous permet pas de suivre Moreau de Paris à la frontière. De son voyage, nous ne savons qu’une chose, c’est qu’il se fit pour ainsi dire sans débrider. On courut nuit et jour. On ne s’arrêtait qu’aux relais, pour changer les chevaux et aux auberges, à l’heure des repas. Aucun incident ne semble s’être produit ni sur la route, ni aux étapes. Le 28 juin, Moreau passait la frontière et entrait en Espagne. Là, nous le perdons de vue jusqu’au 16 juillet, date de son arrivée à Barcelone, où il descend à « la Fontaine d’Or. » Il y reçut un accueil digne de sa renommée. Dans les rares notes où il mentionne, en deux lignes, ses allées et venues, il constate que, le 19, assistante une course de taureaux, il a été reconnu par les spectateurs et vivement applaudi. Le 22, sa femme le rejoignait et ils s’embarquaient bientôt sur la Vierge du Carmel pour se rendre à Cadix. Ils avaient préféré la voie de mer à la route de terre, par crainte des mauvais gîtes et des bandits. Ils étaient à Cadix le 2 août. Leur fils Eugène, alors âgé de trois ans, était resté en France avec sa grand’mère, Mme Hulot, qui devait le leur envoyer un peu plus tard.