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notre espèce rien que d’honorable. Les chapitres relatifs aux « temps anciens » nous font assistera la genèse des principes sur lesquels reposeront les sociétés ; et nous oyons conter tout à loisir la véridique histoire du dragon d’Alca, terreur des alentours, qui fut dompté par une vierge sacrée. Du Moyen Age et de la Renaissance nous passons tout de suite à la Révolution française, caractérisée par la violation des sépultures de Saint-Denis et le pillage des châsses. Des conquêtes napoléoniennes, nous sautons au boulangisme et à l’affaire Dreyfus, qui devient « l’affaire des quatre-vingt mille bottes de foin » pour le vol desquelles a été condamné un innocent, le capitaine Pyrot. Le régime actuel est symbolisé par une aventure qui a pour centre le « sopha de la favorite. » Insensiblement nous entrons dans les « temps futurs. » Le machinisme et l’industrie rendront alors le monde parfaitement inhabitable : le salut nous viendra des anarchistes qui feront sauter les capitales. Où se dressaient naguère les villes orgueilleuses, s’étendront des champs incultes. Peu à peu des laboureurs les défricheront ; ils y bâtiront des villages, qui deviendront des villes ; et tout recommencera : c’est « l’histoire sans fin. » — Comme on le voit, dans ce rapide voyage à travers les siècles des siècles, M. France ne s’astreint pas à être complet, et il brusque les transitions. Une critique sourcilleuse lui reprocherait aisément le manque de proportions. Mais ne serait-ce pas une assez vaine chicane ? L’Ile des Pingouins est bâtie sur le plan de la Légende des Siècles, où l’on sait qu’il y a de fortes lacunes. Qu’il soit poète comme Victor Hugo, ou satirique comme M. France, le littérateur a le droit de choisir dans l’histoire les épisodes qui lui paraissent évoquer le mieux chaque étape de l’humanité, et de les traiter suivant leur importance relative.

A en juger par les développemens qu’il lui donne, on voit tout de suite que pour M. France l’affaire la plus importante des temps modernes, et même de l’histoire tout entière, est l’affaire Pyrot. On va droit à cette partie essentielle du livre. Une aimable surprise nous y attend. On se souvient, en effet, de l’activité que déploya M. France pendant toute la durée de cette affaire. Avec quelle décision il se rangea du côté où luisaient à ses yeux la justice et la vérité ! Avec quelle ardeur il prit part à la bataille ! Je ne dis pas que M. France ait changé d’opinion ; mais comme son opinion a changé de langage et son langage d’accent ! Il n’a certes pas émigré vers l’autre camp ; mais, s’il est resté fidèle à ses amis, avec quelle liberté il s’exprime sur leur compte ! A l’entendre, les Pyrotins n’avaient pas plus de raisons