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excessive : car enfin il est arrivé souvent à l’empereur Guillaume de tenir un langage tout aussi risqué que celui de sa dernière interview, sans que personne alors s’en soit offusqué. Pourquoi la réprobation a-t-elle été, cette fois, si véhémente ? Sans doute un mécontentement, silencieux mais intense, s’était amassé peu à peu dans la profondeur des âmes allemandes et y a fait subitement explosion. Il est vrai que ce qui en Allemagne, et même ailleurs, a fait apparaître le mal comme plus inquiétant encore qu’on ne l’avait cru au premier moment, est l’explication qui en a été donnée. On s’était habitué peu à peu aux manières oratoires de l’Empereur et on n’en éprouvait plus qu’une surprise atténuée ; mais on se faisait du gouvernement impérial une image très différente de celle qui est apparue tout d’un coup à la lueur de l’incident, et, cette fois, la surprise a été d’autant plus vive qu’on y était moins préparé.

L’interview de l’Empereur s’adressait à l’opinion anglaise qui lui est peu favorable, et qu’il essayait de reconquérir en l’éclairant sur ses véritables sentimens et sur quelques-uns de ses actes. Ses sentimens, qui ont toujours été anglophiles, ont été étrangement méconnus. L’Empereur s’en afflige ; il s’en indigne aussi comme d’une criante injustice ; il rappelle avec quelque emphase toutes les marques de sympathie qu’il a données à l’Angleterre, — celles qui étaient déjà connues sont généralement des discours, — et il a d’autant plus de mérite à éprouver ces sentimens que ce ne sont pas ceux de la nation allemande. Ici nous lui laissons la parole : « Ma tâche, dit-il, n’est pas des plus aisées, les sentimens qui prévalent dans une grande partie de la classe inférieure et de la classe moyenne de mon peuple n’étant pas amicaux pour l’Angleterre. C’est une minorité seulement qui, dans mon propre pays, écoute mes paroles, une minorité composée sans doute des meilleurs élémens, de même qu’en Angleterre c’est une minorité qui est bien disposée envers l’Allemagne. » Ce passage de l’interview est un de ceux qui ont produit en Allemagne l’impression la plus fâcheuse. Il définit peut-être avec exactitude les sentimens réciproques de la majorité de l’Angleterre et de la majorité de l’Allemagne ; mais si ces sentimens sont faits d’hostilité latente, fallait-il le dire ? Une aussi grave allégation tombant des lèvres impériales n’était-elle pas imprudente ? Ne devait-elle pas aggraver la tension qui existe entre les deux pays au lieu d’amener une détente ? Ne fournissait-elle pas des argumens à ceux qui refusent de restreindre les dépenses navales et qui demandent sans cesse de nouvelles augmentations d’arméniens ? Il faut bien reconnaître que, dans