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mon enfance est transformé en chemin et le tombeau de mes ancêtres en mare à anguilles ? » On essaya d’affaiblir par des considérations historiques la force probante du passage cité. Le bourgmestre de Breslau rappela qu’il était fonctionnaire dans l’Est en 1886. Ce fut, dit-il, une époque de nervosité ; on voulut avec précipitation opérer un changement subit. La politique de colonisation est bien la politique de Bismarck, mais il l’entreprit lorsqu’il commençait à vieillir, à être aigri, au temps des lois contre les socialistes et autres mesures violentes semblables[1]. Quels résultats ont d’ailleurs donnés les lois de Mai ? Bismarck que l’on invoque conseillerait peut-être de ne pas recommencer les mauvaises expériences qu’il a faites avec les lois d’exception[2]. Le prince de Bülow mettait sa responsabilité sous le couvert des traditions de son illustre prédécesseur, mais on lui répondait que le prince de Bismarck était un assez grand homme pour reconnaître son erreur et découvrir dans les difficultés présentes le prétexte subtil qui mène à Canossa avec tous les honneurs de la guerre.

Il n’y a jamais prescription pour les idées, bonnes ou mauvaises. En 1886, M. de Schorlemer fit remarquer que ce terme d’« expropriation » surprenait très désagréablement tout le monde et qu’il vaudrait mieux qu’il n’eût pas été prononcé. Le mot a fait fortune ; ce n’est point par la faute des adversaires de Bismarck, mais par la volonté de ceux qui, en Allemagne, prétendent incarner l’esprit du prophète.

L’Association des marches de l’Est (Ostmarkenverein) s’est faite l’apôtre de l’idée d’expropriation des Polonais. Fondée en 1894, lors du pèlerinage des Allemands de Posnanie à Varzin, auprès de Bismarck retiré sous sa tente, elle fut parfois, à l’origine, considérée comme une fronde contre le jeune Empereur. On prétendit aussi que cette ligue patriotique masquait des intérêts agrariens. On peut soutenir cependant que l’Ostmarkenverein fut une réponse aux associations polonaises. Trois grands propriétaires allemands de l’Est se mirent à sa tête : MM. de Hansemann, Kennemann et de Tiedemann. Avec les initiales de ces trois noms : H. K. T., les Polonais ont forgé le mot « hakatiste » dont ils se servent pour désigner leurs plus violens ennemis.

  1. Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte, 30 janvier 1908, p. 41.
  2. Chambre des députés, M. Wolff (freisinnig), Stenog. Berichte, 30 novembre 1907, p. 111.