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On dirait que quelque chose a enrayé quelque rouage en vous. C’est une chose que je ne puis m’expliquer ; vous m’avez toujours fait l’effet d’un homme résigné, et non d’un homme content. Peut-être que je me suis trompée. Adieu, il est bien tard et je suis bien fatiguée. J’aime mieux vous envoyer cette lettre toute courte qu’elle est, que d’attendre pour vous écrire autre chose. D’ailleurs, que puis-je vous dire ? Il m’est impossible de m’occuper d’idées quand vous êtes dans le malheur. Adieu, je vous aime de toute mon âme..


Claude Fauriel à Mary Clarke.


Le 18 novembre.

Chère amie,

Il y a déjà plusieurs jours que j’ai reçu votre dernière lettre de Cold Overton écrite à deux reprises différentes : mon premier mouvement a été d’y répondre tout de suite ; je l’ai essayé ; mais je n’ai pas tardé à reconnaître qu’il ne serait pas généreux de céder à une impulsion irréfléchie, et de vous laisser voir tout le désordre, et toute la douleur qu’a causée en moi la nouvelle inattendue que vous ne revenez pas. J’ai voulu, avant de vous écrire, voir si quelques efforts sur moi-même me donneraient le calme nécessaire pour vous parler de moi sans trop ajouter à vos peines ! Car, dans les angoisses inexprimables de mon cœur, le besoin et le désir de vous consoler, de savoir que mon souvenir est de quelque douceur pour vous, sont encore ce que je sens avec le plus de force et de la manière la plus distincte, ou du moins avec la plus ferme volonté de me rendre tel que vous pouvez me souhaiter, et que je voudrais être pour vous. Sachez seulement que personne au monde n’eut jamais plus besoin de courage que je n’en ai depuis votre dernière lettre, que jamais un être humain n’eut plus besoin d’en voir un autre, que je n’en avais de vous voir, de vous entendre, de vous ouvrir une âme qui ne peut l’être qu’à vous, de vous montrer quelles douces espérances je fondais sur le charme de votre empire sur ma pensée, sur mon cœur, sur mon esprit et sur tout ce qu’il y a en moi de moins indigne d’être aimé par un être aimable et sachant aimer. Sachez bien tout cela, chère amie, dites-vous-le quelquefois : ayez pitié de moi, et soyez bien sûre que vous