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tendres, comment elle se portait. Vous ne m’avez pas demandé comment je me portais une seule fois depuis quinze jours, je l’ai marqué par écrit. J’ai passé presque cette nuit à vous écrire. Je tiens ma résolution de ne pas vous envoyer des lettres où j’en dis trop. Pourtant, comme j’ai en ce moment un intervalle de raison, j’en profite pour vous le dire plus tranquillement ; je crois quelquefois que je perdrai la tête, si vous continuez comme vous faites. Croiriez-vous que plusieurs fois l’idée d’aller vous poignarder s’est présentée à moi ? Mais avec une envie effroyable ! Je n’en peux mais. Mme A… m’a dit hier que vous étiez amoureux de toutes les femmes un peu bien. C’est le fait. Tenez, Dicky, il faut que vous changiez, ou que je cesse de vous voir, ou je ne sais pas ce qui arrivera. Ce n’est pas Mme Arconati[1] qui me tourmente, c’est cette créature de Mariette[2]. Je veux que vous ne la regardiez jamais. Je veux que vous veniez ici demain à deux ou trois heures. Je veux pour une fois assouvir ma poitrine. Il me semble que j’ai une bête féroce qui me dévore. Ah ! vous étiez bien heureux quand vous éprouviez la même chose. Vous veniez me voir quand il vous plaisait, sur le quai Malaquais, et je vous consolais doucement et tendrement. Mais vous êtes plutôt homme à me dire des duretés. Je veux que vous veniez demain à l’heure que j’ai dit.


Mary Clarke à Claude Fauriel


Florence, le 23 mai 1824.

J’ai parlé italien tout le temps avec l’homme[3] qui m’a beaucoup plu. Il avait deux bonnes qualités : une belle physionomie et il ne savait pas le français. Nous sommes partis le lendemain et mon cœur a sauté de joie en entendant un brave vieux qui était dans notre voiture dire qu’il était de Florence et qu’il ne savait pas le français. Je l’aurais croqué pour ses ha[4]

  1. La marquise Constance Arconati Visconti, née Trotti (1800-71), fut une des Italiennes les plus dévouées à la cause nationale. Retirés en Belgique, où ils possédaient une grande fortune terrienne, les Arconati furent la providence des émigrés italiens. Ils avaient de nombreuses relations dans le monde littéraire français, entre autres Fauriel, Cousin, Quinet, Mme Récamier, Sainte-Beuve, etc. (Communication de M. G. Gallavresi.)
  2. Mme Paolo Bassi, sœur de la marquise Arconati. (Gallavresi, loc. cit., p. 19, note 2.)
  3. Un jeune homme rencontré à Padoue, qui avait fait la cour à Mary.
  4. Allusion aux aspirations du parler florentin.