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III

Telles étaient les circonstances créées par les événemens, lorsque Moreau fit son apparition à Prague, cinq jours après la rupture du Congrès et à la veille de l’expiration de l’armistice. En descendant de voiture, il se rendit chez le Tsar. Mais Alexandre allait au théâtre ce soir-là avec l’empereur d’Autriche ; l’entrevue que sollicitait Moreau dut être ajournée au lendemain. Désireux de le dédommager de ce contretemps, le Tsar, le lendemain, dès le matin, se présenta chez lui, l’embrassa, se répandit en remerciemens et en louanges et déploya tant de séductions et de grâces, que Moreau fut conquis au point de se déclarer prêt à mourir pour un tel prince.

C’est tout ce que nous savons de cet entretien qui fut long, cordial et confiant. Le projet relatif aux prisonniers y fut-il discuté ? La question du commandement général y fut-elle agitée ? Y délibéra-t-on sur le plan des prochaines batailles ? Nous l’ignorons. Ce qui est moins incertain, c’est qu’on apprit bientôt que Moreau conseillait vivement de n’accepter le combat qu’avec les lieutenans de Napoléon et d’éviter le contact avec les Français, quand on saurait qu’il les commandait en personne. On apprit de même que l’Autriche avait exigé la nomination du prince de Schwarzenberg comme généralissime, ce qui mettait à néant le bruit un moment répandu que cette haute fonction était destinée à Moreau, encore qu’il se fût défendu d’y prétendre et qu’il eût conseillé au Tsar de la revendiquer pour lui, en offrant, en ce cas, d’exercer celle de major général. Quant au projet de former un corps à l’aide des Français prisonniers, ou n’en parla plus, ce qui donne à croire que, dès le premier moment, on y avait irrévocablement renoncé.

Que ces conseils aient été émis et ces résolutions prises ce jour-là ou les jours suivans, il n’est pas douteux qu’ils forment le fond des conversations qu’eut Moreau avec les souverains alliés. Alexandre l’avait conduit chez l’empereur d’Autriche, dont l’accueil fut aussi flatteur qu’avait été le sien. Le lendemain, il lui amena le roi de Prusse, avec le visible souci d’afficher hautement devant un tel témoin le cas qu’il faisait des talens militaires du nouvel arrivant, l’estime en laquelle il le tenait et l’espoir qu’il fondait sur lui.