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guerre, en laissant à chaque État le droit d’ambassade et de traité, le commandement de ses troupes en temps de paix, ses uniformes et ses couleurs, sa législation et son budget, ses postes, télégraphes et chemins de fer. Cette proposition n’était pas celle que Bismarck aurait désirée, mais elle lui permettait d’entrer en matière et d’arriver par étapes à son but. Il allait employer à cette tâche laborieuse un diplomate de grand mérite, Delbrück, son dévoué collaborateur. Bismarck avait besoin d’un auxiliaire intelligent et zélé, car sa situation n’était pas facile. La prépondérance qu’il avait acquise dans les affaires, par son talent et son courage, avait naturellement suscité d’ardentes jalousies. Les princes et les courtisans lui étaient hostiles. Les officiers supérieurs, appelés par lui « les demi-dieux, » le détestaient. Ils ne lui avaient point pardonné l’indulgence avec laquelle il avait traité l’Autriche en 1866, et le général de Podbielski avait déclaré qu’un tel fait ne se renouvellerait plus. On lui avait en conséquence caché toutes les mesures et tous les projets concernant les opérations militaires, sans s’inquiéter de savoir si cela pouvait nuire ou non à la politique générale. Pour sortir d’embarras et pour être renseigné à temps, le chancelier avait dû recourir à de hauts personnages inoccupés et à un correspondant anglais. On le traitait ainsi, lui qui avait mis l’Allemagne à cheval, lui qui avait décidé la guerre, lui qui préparait si patiemment l’unité allemande ! Et cela au moment même où une intervention quelconque aurait peut-être pu enlever aux Allemands le prix de la victoire. « Dans des nuits sans sommeil, dit-il, j’étais tourmenté par la crainte que nos grands intérêts politiques ne fussent, après de grands succès, compromis par notre lenteur et par nos hésitations dans noire attaque contre Paris[1]. »

Le 12 septembre, le jour même des premières propositions de la Bavière, il mande à sa femme qu’un flot d’encre s’est répandu sur lui. Il se plaint des faux ramiers de la paix et de leurs roucoulemens hypocrites. Il gémit de l’incroyable esprit de routine et de la sotte jalousie des militaires. « Si, dans le civil, je devais travailler au milieu d’une telle confusion de ressorts, il y a longtemps que j’aurais éclaté comme une bombe ! » Il se moque de ces héros devant l’ennemi qui, « une

  1. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 131.