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persécutions lui faisaient horreur, et elle ne s’y accoutuma jamais. Elle écrivait en 1696 : « J’avoue que j’ai toujours des impatiences quand j’entends louer le grand homme, du haut de la chaire, de persécuter les Réformés[1]. » Mais il faut la prendre comme elle est. Liselotte n’était pas faite pour les idées sérieuses. Les questions religieuses « l’ennuyaient, » les cultes « l’ennuyaient, » et les petites pratiques, et tout ce qu’elle appelait « les grimaces. »

Le plain-chant lui était insupportable : « A-a-a-i-i-i… ; » de sorte que la première vertu d’un aumônier consistait pour Madame à en avoir vite fini. On se le tenait pour dit : « J’ai un chapelain qui m’expédie la messe en un quart d’heure ; c’est tout à fait mon affaire[2]. » Les sermons l’endormaient : « Il m’est impossible d’en écouter un sans dormir ; pour moi, c’est de l’opium. » Un jour qu’elle avait été trois nuits « sans fermer l’œil, » à cause d’une toux opiniâtre, elle prit le parti de se rendre à un couvent où l’on devait prêcher : « Je dormis d’une traite pendant les trois heures que dura l’office, et je sortis complètement remise[3]. » C’était de famille : « J’ai comme Votre Dilection, et comme Sa Grâce feu mon père, la bénédiction de dormir à l’église. » En vieillissant, elle se mit à ronfler bruyamment. Le Roi, qui jusque-là l’avait laissée dormir en paix, la réveillait maintenant à coups de coude. Madame alla ronfler dans la tribune, où personne n’osait la troubler.

Elle répétait volontiers qu’elle ne croyait à aucun dogme ; que Dieu n’exige de l’homme que de bonnes actions et une vie pure ; que la vraie religion est dans le cœur ; et que « tout le reste n’est que bavardage de la prêtraille[4]. » Elle concluait : « Je sers mon Dieu comme je peux et comme je le comprends[5]. » Sa manière de servir Dieu était de lire sa Bible allemande ; de faire tous les jours sa prière, bien qu’elle fût convaincue que c’est chose absolument inutile ; et de haïr vigoureusement les dévots, de tous les humains les plus haineux et les plus remplis de fiel. Que faut-il de plus à Dieu ? A quoi bon entendre trois messes à la file, ainsi que faisait le Roi

  1. Du 20 mai, à la duchesse Sophie.
  2. Du 7 juillet 1695, à la même.
  3. Du 19 mars 1693.
  4. Du 13 décembre 1701, à la raugrave Louise.
  5. Du 12 mai 1702, à la même.