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duc de Bade, après le discours et la proclamation, avait acclamé le souverain comme « Empereur d’Allemagne. » La vérité est que le grand-duc, qui remplaçait le roi de Bavière, s’avança au pied de l’estrade « et esquiva toute difficulté, en prononçant un hoch en l’honneur non pas de l’empereur d’Allemagne, ni de l’Empereur Allemand, mais de l’Empereur Guillaume[1]. » Ce hoch fut répété trois fois par l’assistance, puis le nouvel Empereur, qui avait repris son calme, embrassa son fils et les membres de sa famille et donna la main aux autres princes qui l’entouraient. Il reçut ensuite du haut de l’estrade les hommages des ministres et des principaux officiers. Puis, étant précédé des grands dignitaires de la Cour et aussi de tous les princes, il passa devant le front des diverses délégations en adressant les paroles les plus gracieuses aux notabilités et même à de simples soldats. Seul, le comte de Bismarck fut, à la surprise de tous, excepté de ces félicitations.

« Sa Majesté, dit le chancelier, m’en voulut tellement de la façon dont les choses s’étaient passées qu’elle affecta de ne pas me voir, alors que je me trouvai seul dans l’espace libre en avant de l’estrade et, passant devant moi, elle alla donner la main aux généraux qui se trouvaient en arrière. » Le cortège impérial, aux sons de la musique militaire qui jouait l’hymne national, défila lentement dans la grande galerie des Glaces, pendant que les regards des assistans se fixaient sur les peintures de Le Brun qui représentaient à la voûte le passage du Rhin et que des curieux écartaient les draperies du fond qui cachaient le grand médaillon de marbre, où Louis XIV à cheval foule ses ennemis renversés… Évidemment, cette solennité avait pris le caractère d’une revanche historique des Allemands contre le grand Roi, mais quels qu’aient été nos revers, la gloire de Louis XIV est demeurée une gloire ineffaçable. Nous ne sommes pas d’ailleurs la seule nation qui ait connu les vicissitudes de la fortune, et il n’y a pas longtemps encore que Napoléon faisait démolir la colonne de Rosbach.

Parmi les spectateurs de la cérémonie du 18 janvier, il se trouvait des personnages appartenant aux États du Sud qui devaient regretter que l’on eût choisi pour date de la fondation de l’Empire celle d’un anniversaire personnel aux Hohenzollern,

  1. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 144.