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rapporteur d’affaires, lut la proclamation au peuple allemand. Au passage qui concernait l’extension des frontières de l’Empire, je remarquai un tressaillement dans toute l’assistance qui d’ailleurs ne dit mot. Alors le grand-duc de Bade s’avança avec cette dignité paisible qui lui est si naturelle et s’écria : « Vive Sa Majesté l’empereur Guillaume ! » Je pliai un genou devant l’Empereur et lui baisai la main. Alors il me releva et m’embrassa d’une façon vraiment spontanée. Là-dessus toute la Cour défila. Au dîner, Sa Majesté me dit que je devais être maintenant appelé « Altesse impériale, » quoique mon titre ne fût pas encore spécifié... La première fois qu’on m’appela Altesse impériale, ce titre m’effraya par son aspect pompeux. » Cette timidité dura peu, mais elle a lieu d’étonner de la part d’un prince qui s’était montré si impatient de voir renaître l’Empire et qui aurait voulu réduire de force les monarques du Sud à la situation de simples princes ou de ducs. On peut constater aussi que le prince Frédéric ne dit pas un mot de l’attitude glaciale de l’Empereur à l’égard du chancelier. Elle fut pourtant très remarquée, et cela se comprend. Si quelqu’un devait être reconnaissant au comte de Bismarck d’avoir mené à bien la tâche si considérable, si difficile de l’unité allemande, c’était bien le nouvel Empereur. Il ne le fut pas, au moins à l’heure solennelle où devant tous il aurait dû l’être. C’était là une petitesse ; c’était aussi une faute. Certains hommes d’Etat allemands qui eussent été incapables d’accomplir le dixième de la lâche de Bismarck, lui avaient reproché d’avoir peu obtenu, et celui-ci répondait : « Celui qui dira cela aura peut-être raison, mais il ne se rendra pas compte que ce à quoi j’attachais le plus d’importance, c’était que mes partenaires fussent contens de moi. Les traités ne sont rien quand les gens qui les signent sont contraints et forcés. Et moi, je sais que ces gens-là sont partis contens... Le Roi non plus n’était pas satisfait. Je n’ai emporté son adhésion qu’en lui faisant craindre l’intervention de l’Angleterre. Il trouvait qu’un tel traité n’avait pas de valeur. Ce n’est pas mon opinion. Je considère, moi, que c’est le résultat le plus considérable que nous ayons atteint dans ces dernières années. Quant au titre d’Empereur, je n’ai réussi à le faire accepter aux plénipotentiaires qu’en leur montrant combien il serait plus aisé et plus agréable pour leur souverain d’accorder certains privilèges à l’empereur d’Allemagne que de les accorder