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pour éloigner le vaincu de Sadowa des frontières allemandes et l’engager dans les complications balkaniques ; Gortchakof par nécessité, pour rendre possible la guerre avec la Turquie ; Beaconsfield par aveuglement, parce qu’il n’était préoccupé que de parer au péril russe et de briser la Grande-Bulgarie. L’Autriche est entrée en Bosnie, de par l’article 25 du traité de Berlin, comme mandataire de l’Europe, pour occuper et administrer le pays, y maintenir l’ordre, améliorer le sort des paysans dont Andrassy, au Congrès, déplorait la condition misérable. Des troubles en Bosnie avaient, à maintes reprises, inquiété les puissances ; elles souhaitaient d’en empêcher le retour et c’est pourquoi elles y installèrent l’Autriche. En disposant d’elle, l’Europe n’a pas demandé à la Bosnie d’être heureuse, elle ne lui a demandé que d’être sage et de se faire oublier.

Comment le tsar Alexandre II et Gortchakof, par la convention de Reichstadt, dès le 8 juillet 1876, reconnurent à l’Autriche, en échange de sa neutralité, le droit d’occuper la Bosnie et l’Herzégovine, et comment, au Congrès, ce fut lord Beaconsfield, adroitement circonvenu par Bismarck, qui proposa de confier à l’Autriche l’administration des deux provinces, nous l’avons exposé ici en son temps (15 septembre 1906), et, tout récemment, M. Hanotaux, dans les deux articles si pleins de vie et de dramatique intérêt qu’il a publiés ici même, l’a montré mieux encore. Il a fait jouer devant nous les ressorts secrets des négociations et mis en scène les personnages : les Russes résignés, les Anglais dupés, le comte Corti, pour avoir esquissé une timide protestation, rabroué par Andrassy. Ces faits sont acquis à l’histoire, il n’est plus nécessaire d’y revenir ; mais il fallait les rappeler pour établir, avant tout débat, la responsabilité de l’Europe et, en même temps, son droit d’intervenir dès qu’il s’agit de modifier la nature ou d’accroître l’étendue des pouvoirs qu’elle-même a conférés à l’Autriche en Bosnie-Herzégovine.

Pour nous rendre compte des raisons qui ont donné à l’affaire de Bosnie une ampleur inattendue et inquiétante, il est nécessaire que nous écoutions successivement les explications de l’Autriche et la protestation des Serbes.

Pour l’Autriche, la question est purement « européenne. » Il s’agit de savoir si l’état de choses établi en Bosnie, en 1878, pouvait, sans inconvéniens, rester plus longtemps provisoire et