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grand jour. Ni les Serbes, ni les Monténégrins ne pouvaient circuler en Bosnie ou y séjourner ; le régime était plus dur qu’il ne l’a jamais été, au lendemain de 1870, pour les Français en Alsace-Lorraine. Les voyageurs étrangers qui voulaient visiter la Bosnie, étaient, au contraire, entourés de prévenances si empressées qu’on ne leur laissait la faculté de voir que la façade officielle d’une administration plus préoccupée de germaniser le pays que d’assurer son développement. L’histoire serbe, les traditions serbes, jusqu’aux chansons serbes, étaient proscrites : jamais, au temps du régime ottoman, le pays n’avait subi pareille oppression. Tout ce qui rappelait les liens des habitans avec les Serbes était si rigoureusement pourchassé que M. de Kallay, devenu gouverneur des deux provinces, interdit son propre ouvrage où il avait jadis écrit : « En Bosnie et en Herzégovine, sous trois religions, il n’y a qu’un seul peuple serbe ! »

L’Autriche invoque aujourd’hui, pour justifier l’annexion, l’œuvre qu’elle a accomplie et les dépenses qu’elle a faites. Elle a, en effet, construit des routes, des ponts, des hôpitaux, des écoles ; mais, dans tout cela, elle n’a jamais songé au bonheur du peuple qu’elle avait charge d’administrer ; elle a travaillé pour elle, non pour lui : son administration a été une entreprise de germanisation, ou, plutôt, de « déserbisation. »

Des trois élémens, inégaux en nombre, qui peuplent la Bosnie et l’Herzégovine, les Croates du Nord-Ouest, ou Serbes catholiques, qui sont à peu près 300 000, ont seuls bénéficié du régime autrichien ; depuis longtemps attirés vers Vienne et Zagreb par la communauté de religion, ils se sont mis au service de l’influence croate, autrichienne et catholique. Des missions, des églises, des écoles catholiques s’élevèrent partout ; les catholiques furent officiellement favorisés, tandis que les orthodoxes étaient systématiquement tenus à l’écart des faveurs et des fonctions publiques. Un concordat, conclu à prix d’argent par le gouvernement de Vienne avec le patriarche œcuménique grec de Constantinople, dont relève nominalement l’Eglise orthodoxe de Bosnie, donna à l’Empereur la nomination des évêques ; la présentation par le saint-synode ne fut plus qu’une formalité ; dans beaucoup de paroisses, le pope devint l’homme de Vienne : le peuple déserta ces églises. Quant aux musulmans, qui sont les anciens seigneurs serbes, passés à l’Islam pour garder leurs terres et leurs droits féodaux, les gouverneurs autrichiens s’attachèrent