Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/934

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en aucune langue, — avec la naïve et délicieuse fraîcheur de leur gai sourire ; et sans cesse d’autres lettres évoquent devant nous de gentilles figures de chiens ou de chats, d’oiseaux, de souris blanches, ou de papillons, toute une ménagerie dont chaque membre nous est décrit jusque dans les nuances les plus intimes de sa physionomie individuelle. Nous avons là, pour ainsi dire, le brouillon quotidien des confidences poétiques qui nous ravissent dans les poèmes et les contes de Christina : naïvement, une âme prédestinée de poète s’y découvre à nous, infatigable à recueillir, parmi la rumeur disparate de nos réalités, les lointains et fugitifs échos de la musique éternelle des anges, telle que seules des oreilles toutes remplies de Dieu peuvent être admises à la percevoir.


Mais il n’en résulte pas que cette âme n’ait eu ses tristesses, sauf pour elle à y puiser toujours de nouveaux élémens de douceur et de beauté poétiques. A la considérer sous le rapport des faits matériels, toute la vie de Christina nous apparaît un long martyre, où les modes les plus divers de la souffrance physique, l’obligation incessante d’assister à la maladie et à la mort des êtres aimés, et l’épreuve douloureuse des deux romans que j’ai dits, et la dure nécessité de la solitude, s’accompagnent d’autres misères encore, à peine moins tragiques sous le voile de silence résigné qui nous les recouvre. Et il faut en vérité que soit bien profonde et puissante l’atmosphère sereine de poésie qui enveloppe, à nos yeux, cette pâle figure, pour que la lecture de ces lettres ne nous laisse, tout compte fait, qu’une impression de paix et de douceur consolantes, au sortir des angoisses, des déceptions, et des deuils où nous venons d’assister.

Le désespoir qu’une telle accumulation de souffrances aurait risqué de produire même dans un cœur plus fortement trempé, ce cœur-là en a été sauvé par l’ardeur de sa foi. J’ai lu souvent, dans les études écrites sur Christina Rossetti, qu’une âme aussi naturellement religieuse, et, avec cela, aussi parfaitement « latine » de race et d’instinct, aurait trouvé profit à être catholique ; et peut-être, en effet, la croyance catholique au purgatoire l’aurait-elle délivrée d’une crise de terreur pieuse que son frère nous apprend qu’elle a traversée sur son lit de mort. Mais, d’une manière générale, il ne semble pas que cette âme assoiffée du ciel ait ressenti jamais l’ombre d’une gêne, dans l’exercice du « ritualisme » anglican auquel elle a achevé de se convertir aux environs de la trentième année. Avec la haute et somptueuse beauté de ses offices, avec ses pratiques régulières du