Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/936

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si la souffrance est un tel miroir qui nous montre — la face du Christ et celle de l’homme pareilles en quelque sorte, — n’est-ce pas assez pour faire d’elle un plaisir du goût le plus subtil ?

N’est-ce pas assez pour nous empêcher de la subir sans hâte ni faiblesse ? — La souffrance n’afflige pas une âme qui sait — que le Christ approche, et qui s’apprête à entendre sonner son heure.


Et Christina Rossetti n’a pas seulement, pour nous, l’attrait d’une âme tout illuminée de lumière céleste : les peines les plus cruelles dont son cœur a saigné lui sont venues de son fidèle attachement à la foi du Christ. Sans parler même des angoisses que lui a causées l’incrédulité de l’homme qu’elle aimait, nous apprenons par ses lettres, et par les notes biographiques de son plus jeune frère, qu’un autre douloureux roman s’est déroulé dans sa vie intime, issu de l’opposition de sa piété avec l’« agnosticisme » radical de son entourage. Car si sa sœur Maria et son frère Dante-Gabriel unissaient à leur génie poétique un profond sentiment d’amour pour le Christ, son second frère s’est toujours tenu éloigné de toute « superstition » religieuse, et sa belle-sœur parait avoir encore volontiers dépassé son mari dans l’active ferveur de sa « libre pensée. » De telle sorte que Christina, étant allée demeurer chez son frère, après le mariage de celui-ci, n’a point tardé à ressentir les effets de ce contraste, qui depuis lors ne devait plus cesser de la torturer. Dès l’année suivante, en 1873, nous la voyons écrivant à son frère, — faute d’oser s’expliquer avec lui de vive voix. — pour lui proposer de le délivrer de sa compagnie. Un peu plus tard, dans une lettre à Gabriel, nous lisons que la cohabitation chez William n’est décidément plus possible, et que Christina va être forcée de se chercher un autre logement. « Je crois bien que William s’afflige d’avoir à se séparer de notre chère maman (qui vivait avec sa fille, et partageait ses idées) : mais il est évident que je déplais à Lucie, et au fond, si nous pouvions échanger nos deux personnes, je suis sûre que j’éprouverais l’impression qu’elle éprouve. » Et elle s’en va, et une pauvre lettre, toute timide et humble, qu’elle écrit à sa belle-sœur, lui demande pardon pour « des fautes qu’elle regrette, et qui chaque jour ont mis la patience de Lucie à une dure épreuve : « mais son frère, en cet endroit et partout ailleurs, nous avertit que ces « fautes » dont elle s’excuse n’étaient nullement de son fait.

Aussi bien, la suite du volume nous renseigne-t-elle assez clairement sur le rôle des deux parties, dansée long combat de deux idéals religieux. En 1883, après la mort de Dante Gabriel, la mère et la sœur