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ajouté à ceux dont souffre déjà notre marine. À côté des intérêts de la discipline, il y en a d’autres qui méritent d’entrer aussi en ligne de compte, et le gouvernement a eu pour le moins le tort de ne voir qu’un côté de la question. Il n’en a pas moins obtenu… faut-il dire l’approbation de la Chambre ? Non, il a obtenu seulement un vote où il a eu la majorité, et même une majorité considérable, puisqu’elle s’est finalement élevée à 355 voix contre 142 ; mais il ne faudrait rien connaître aux déformations que subit, en de certains momens, la conscience parlementaire pour croire que la Chambre a sincèrement approuvé le gouvernement. La vérité est qu’elle n’a pas voulu le renverser à la veille des élections sénatoriales. Dans les conversations de couloir, le blâme était unanime ; il s’exprimait en toute liberté. Mais la simple vue de l’urne du scrutin change, pour un député, la perspective des choses, et si, par le plus grand des malheurs, la discipline venait à se perdre dans la marine, on la retrouverait longtemps intacte dans une majorité ministérielle d’aujourd’hui. Ce serait là son dernier refuge. M. Clemenceau, en posant la question de confiance, n’avait aucun doute sur le résultat qu’il obtiendrait, car il connaît son monde. La Chambre n’était plus libre d’exprimer sa pensée vraie sur le cas de l’amiral Germinet : on l’obligeait à se prononcer pour ou contre le ministère. Grâce à cette manœuvre, qui est d’ailleurs classique dans la tactique parlementaire, la difficulté a été sauvée.

Reste à savoir si la faute de l’amiral Germinet est aussi grave que le gouvernement l’a cru. Ce n’est pas nous qui approuverons nos officiers de terre ou de mer de faire, sur l’état de notre armée ou de notre flotte, des confidences à des journalistes. L’amiral Germinet est, paraît-il, coutumier du fait. M. le président du Conseil a dit à la Chambre qu’il avait été déjà frappé, à deux reprises différentes, pour des intempérances de parole analogues, à des peines qui d’abord très faibles, avaient dû s’accroître à chaque récidive jusqu’à atteindre le maximum : c’est là le point faible de l’amiral. Nos officiers doivent tout dire à leurs chefs hiérarchiques, et rien au public par l’intermédiaire des journaux. Mais si leurs chefs ne les écoutent pas et ne tiennent aucun compte de leurs rapports, quelque précis, pressans et multipliés qu’ils soient, on s’explique et on peut même excuser en quelque mesure que, dans l’inquiétude patriotique qu’ils éprouvent et dans la préoccupation de leur responsabilité en cas de guerre, la vérité qui les étouffe échappe à quelques officiers. Allons plus loin : si la vérité ainsi publiée, et dès lors entendue de tout le monde, l’est enfin de