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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/179

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christianisme modifia profondément l’idée de Dieu, de sa nature et de son intervention dans les choses humaines. À bien des égards cependant, il assura la continuité du droit romain. On sait qu’un instant il se dédoubla, pour ainsi dire, les uns faisant surtout reposer toute l’organisation sociale sur le nouveau César, héritier du César antique que la cité païenne avait fini par diviniser, les autres réclamant la suprématie absolue pour le représentant du Christ. Il fallut que la sagesse des grands papes réalisât l’alliance des deux pouvoirs avec un partage équitable des attributions. Malgré ces luttes qui ont ainsi rempli les siècles du moyen âge et des temps modernes, l’ordre public n’en fut pas moins dominé, même pour les serviteurs de l’Empire et des princes et même pour les hérétiques, par l’idée du respect nécessaire, obligatoire de l’unité chrétienne. C’était seulement à qui la représenterait, à qui reviendrait la prérogative de la défendre et de la rétablir. Mais chacun y tenait énergiquement et prétendait y tenir plus que tous les autres, car nul n’aurait toléré que personne risquât de lui enlever « sa part de paradis, » pas plus que le citoyen d’aujourd’hui n’admettrait qu’on lui enlevât « sa part de souveraineté. » Voilà pourquoi tout le monde était d’accord pour poursuivre et pour punir les faiseurs d’hérésies, les auteurs d’impiétés, les blasphémateurs, les sacrilèges, les sorciers, les magiciens, les jeteurs de sorts, les démoniaques. Il est bien établi qu’à cet égard les peuples et leurs princes étaient plus exigeans et plus durs que les clercs et qu’en réclamant pour elle le droit d’instruire contre ces actes, l’Église tendit plutôt à adoucir et à régulariser la répression.

Il est superflu de rappeler comment l’idée du royaume et de l’unité de la monarchie s’alliait à l’idée de l’unité religieuse pour dominer l’ensemble des pénalités. Ceux qui préparèrent et ceux qui achevèrent la chute de l’ancien régime n’entendirent pas pour cela desserrer les liens. Que, par exemple, les disciples du Contrat social imposent tour à tour une religion ou une irréligion d’État, ils n’en considèrent pas moins comme un criminel, — au sens strict du mot, — tout citoyen qui se permet des affirmations ou des négations contraires à l’unité voulue. Suivant Rousseau, c’est encourir la peine de mort que de mentir devant les lois en bravant la religion nationale. Suivant le Comité de salut public, c’est l’encourir que de favoriser le « fanatisme » par des restes quelconques de « superstition. »