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elle mourrait. Elle ne voulait pas qu’on détruisît la légende de sa virginité.

Selon M. Angelo de Gubernatis, le Tasse, admis dans l’intimité de la famille, passant chaque jour des heures entières avec les princesses, jouissant auprès d’elles de toutes les privautés, connaissait ce mystère et bien d’autres encore. Dans un moment de folie, il a parlé, il a dit ce qu’il savait. C’est pour le punir de l’avoir fait, pour l’empêcher de recommencer, qu’on l’a enfermé si étroitement. On a pris des précautions contre l’intempérance de son langage. Cette observation contient une grande part de vérité. Il est bien certain que le Tasse s’est perdu par la véhémence de ses accusations contre la maison d’Este. Mais en réalité nous ne savons pas ce qu’il a dit et nous n’avons pas le droit de l’inventer pour les besoins d’une thèse. Pourquoi chercher aussi dans toutes ses œuvres des allusions perpétuelles à l’histoire de sa propre vie et à des événemens dont il aurait été le témoin ou le confident ? Pourquoi supposer, par exemple, que dans Torrismonde, où une sœur avoue qu’elle aime son frère, il a voulu mettre en scène la liaison incestueuse de Léonore et du cardinal ? Ne fait-on pas une supposition purement gratuite lorsqu’on s’imagine que si les premières éditions de Torrismonde sont devenues introuvables, c’est que le duc Alphonse les a fait détruire pour sauver la réputation de sa sœur ? S’il avait eu à cet égard la moindre inquiétude, il lui aurait été infiniment plus facile d’empêcher l’œuvre de naître que de l’anéantir après coup.


III

Très dur et probablement même injuste pour la princesse Léonore, le nouveau biographe du Tasse trace au contraire avec les plus grands ménagemens, avec une complaisance marquée, le portrait de Lucrèce, sa sœur. Celle-ci n’a aucune prétention à la vertu, elle ne mène pas une vie retirée. Expansive, exubérante, très en dehors, elle aime le bal, les fêtes, le plaisir sous toutes ses formes, la galanterie. Mariée par politique au duc d’Urbin beaucoup plus jeune qu’elle et qui ne lui témoigne aucune tendresse, elle se dédommage à la cour de Ferrare des dégoûts dont elle est abreuvée lorsqu’elle réside chez son mari. Au charme de sa figure qui reste belle et imposante malgré les