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rien vu de pareil sur les bords du Bosphore. Le Sultan a traversé en voiture une foule immense qui l’acclamait. Est-ce au souverain qu’allaient ces acclamations ? Est-ce au Kalife ? Aux deux, peut-être. Le Sultan, dit-on, n’avait pas l’air très rassuré ; il avait fait baisser la capote de sa voiture. Mais la foule acclamait la voiture, et cette foule était un peuple. Que se passait-il dans son âme encore confuse ? Quelle espérance le soulevait au-dessus de lui-même ? À qui allait vraiment ce débordement d’enthousiasme et de confiance ? À la Constitution, car l’imagination populaire en a fait une panacée. Puisse cette espérance n’être pas déçue !

Le discours du Sultan a été lu par un secrétaire. « Messieurs les sénateurs, messieurs les députés… » Où sommes-nous donc ? Est-il possible que ce soit à Constantinople que de semblables appellations sortent des lèvres du souverain ? Mais l’heure n’est pas venue d’étudier cet état de choses, et nous restons placé au point de vue international. « Au moment, a dit le Sultan, où le nouveau Cabinet, présidé par Kiamil pacha, était occupé à organiser le nouveau régime de gouvernement, le prince Ferdinand de Bulgarie, vali de la Roumélie orientale, a rejeté inopinément la suzeraineté de notre Empire et proclamé son indépendance. Le gouvernement austro-hongrois a fait au même moment savoir à la Sublime-Porte et aux gouvernemens des autres puissances sa décision d’annexer les provinces de Bosnie et d’Herzégovine, provinces que l’Autriche-Hongrie occupait et administrait conformément aux termes du traité de Berlin. Ce furent là deux événemens imprévus, qui nous causèrent un très profond regret. Il en est résulté que notre Conseil des ministres a maintenant pour tâche de choisir les mesures à prendre pour sauvegarder nos droits nationaux, et nous désirons que les ministres bénéficient de l’appui du Parlement dans cette tâche. » Il est difficile.de parler un langage plus correct. Cependant on s’en est ému à Sofia, et le gouvernement bulgare a remis une note verbale aux représentans des puissances pour se plaindre du passage de ce discours « concernant la Bulgarie et son souverain, passage qui contient des termes inadmissibles dans un pareil document. » Quels termes ? Le Sultan ne peut pourtant pas encore appeler le prince de Bulgarie roi ou tsar. Aussi la note bulgare contient-elle des parties plus sérieuses. Le gouvernement ottoman a pris son parti du fait accompli, mais il demande de l’argent à la Bulgarie, comme à l’Autriche ; et la Bulgarie résiste, comme l’Autriche, mais elle s’aperçoit qu’à mesure que le temps passe, les prétentions de la Porte augmentent au lieu de diminuer.