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était convenu que le lendemain Königsmark lui enverrait un billet pour la prévenir du lieu et de l’heure où sa voiture serait à ses ordres. Ne recevant rien, elle devint inquiète : elle le fut davantage quand on vint lui dire que son beau-père lui interdisait de quitter ses appartemens et de voir ses enfans. Eléonore de Knesebeck, prisonnière comme sa maîtresse, ne pouvait aller aux nouvelles. Les deux femmes passèrent la journée du lendemain et la nuit suivante dans une inexprimable angoisse, pendant qu’au dehors le secrétaire et les serviteurs de Königsmark, inquiets de sa disparition, se mettaient à sa recherche. Le 3 juillet, le secrétaire, Hildebrand, reçut du maréchal Podevils le conseil de se tenir tranquille, ce qui ne l’empêcha pas d’avertir les deux sœurs de son maître et son ami le roi de Saxe, de son étrange disparition. Le jour suivant, par ordre de l’Électeur, on fouilla l’appartement du comte Philippe, et tous ses papiers furent saisis. C’est alors que les lettres de la princesse, conservées aujourd’hui à Berlin et à Gmunden, passèrent sous les yeux de son beau-père. Elles révélaient l’intrigue déjà ancienne entre Sophie-Dorothée et Königsmark, son indignation contre son père, qui refusait de l’aider à conquérir son indépendance, et sa haine pour la maison de Hanovre. Ces derniers griefs étaient, aux yeux de l’Électeur, encore plus graves que la passion de sa belle-fille pour le beau Suédois. Il ne se piqua jamais, et pour cause, d’être un censeur austère, mais il avait à un degré extraordinaire l’orgueil de sa maison.

L’Électrice, mise au courant des événemens, fut sans pitié pour l’enfant de la « Française, » et à Celle, le duc Georges-Guillaume, à qui le comte Platen porta les lettres où sa fille l’accusait de cruauté et d’avarice, entra en fureur contre la malheureuse. Quant à la duchesse Eléonore, se jetant aux pieds de son mari, elle lui rappela que leur enfant avait été livrée bien jeune à des influences hostiles ; que, délaissée par son époux, jalousée par son entourage, elle était plus digne de pitié que de blâme. Elle se heurta à un mur d’airain.

Eléonore s’adressa alors à Bernstorff, le ministre tout-puissant. Elle lui offrit une grosse somme d’argent s’il voulait intervenir en faveur de la princesse. Bernstorff, déjà payé par le Hanovre, dont il était l’agent, prit l’argent, promit tout ce que demandait la duchesse et continua à travailler contre elle ! Corruption morale et corruption politique, rien ne manquait à ces