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Plus encore que les confiscations de 1841 et de 1871, les mesures législatives prises depuis le sénatus-consulte et surtout depuis la loi de 1873 ont rendu la situation matérielle des indigènes précaire et augmenté leur misère et leur détresse. La loi de 1873 sur la constitution de la propriété foncière indigène était à peine votée qu’on en vit partout les funestes effets. Bon nombre d’attributaires auxquels on avait réparti des lots trop exigus vendirent leurs terres. D’autres, après une ou deux mauvaises récoltes, manquant de ressources, se virent dans l’impossibilité de les cultiver, empruntèrent, se trouvèrent grevés de nouvelles charges, et ne pouvant rembourser à l’échéance se virent dépossédés. Beaucoup furent dépouillés par des spéculateurs qui les exproprièrent au moyen de titres de créances remontant parfois à de nombreuses années. Quelques douros, prêtés à 50 pour 100 d’intérêt pour trois mois, étaient le point de départ d’une expropriation. Le jour même de la délivrance des titres, les huissiers se mettaient en campagne pour saisir. C’est ainsi qu’aux environs d’Oran, dans les communes de Ténazet, El-Gada, Telibat, Toumiat, une grande partie du territoire passa entre les mains des usuriers et que beaucoup d’indigènes furent dépouillés pour des créances antérieures à la délivrance des titres de propriété. Dans certaines tribus, les facultés contributives des indigènes se trouvèrent diminuées de moitié. Dans une lettre adressée en mars 1887 au gouverneur général, un fonctionnaire écrivait : « Prenons deux douars, communes à proximité d’Oran, ceux de Toumiat et de Ténazet, et reportons-nous aux rôles d’impôts qui sont un critérium absolument certain, puisqu’ils sont une évaluation exacte de la fortune des indigènes : avant la constitution de la propriété indigène dans ces deux douars, en 1878, le total de l’impôt était, pour Toumiat, de 13 294 francs et pour Ténazet de 19657 francs. En 1887, année excellente au point de vue des céréales et de l’élevage du bétail, le total de l’impôt pour Toumiat est descendu à 4 471 francs au lieu de 13 294 francs, et pour Ténazet à 12 696 francs au lieu de 19 657 francs, soit une diminution de 66 pour 400 pour le premier des deux douars et de près de 35 pour 100 pour le second. »

De toutes ces mesures législatives, la plus fatale fut la loi de 1887 qui appliqua la loi française aux partages et licitations des propriétés indigènes, et l’on vit dès lors des usuriers et des gens