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que ce petit monde des artistes florentins a dû ressentir d’autant plus vivement ce qui n’aura point manqué de lui paraître une humiliation imprévue et imméritée, lorsque, en 1422, Palla Strozzi, ayant à faire peindre le retable d’une chapelle voisine de l’église de la Trinité, où venaient d’être déposés les restes mortels de son père, a résolu d’en confier l’exécution à un étranger, originaire de la bourgade de Fabriano dans la Marche d’Ombrie, mais qui, depuis de longues années déjà, avait pris l’habitude de travailler surtout à Venise et dans d’autres ailles du nord de l’Italie.

Le fait est que les peintres abondaient, à Florence, qui pouvaient se croire pour le moins aussi capables que cet obscur Gentile de mener à bien l’œuvre projetée. Il y en avait de vieux et de jeunes, des représentans attardés de l’école de Giotto et de hardis novateurs, se flattant d’avoir ressuscité les secrets de l’art fabuleux de la Grèce antique. Si Palla Strozzi voulait avoir, sur son retable, un riche cortège d’hommes et de bêtes, raccourcis en perspective d’après toutes les règles, que ne s’adressait-il au jeune Paolo Uccello, ou encore à son aîné Parri Spinelli ? Préférait-il une belle Vierge entourée d’une double rangée de beaux saints, avec même, au besoin, un beau décor de « fabriques » surmontant des rochers ? Vingt maîtres de tout âge étaient prêts à la lui fournir, suivant les derniers procédés du défunt Agnolo Gaddi : des maîtres éprouvés tels que Lorenzo di Bicci ou ce pieux frère camaldule que l’on a coutume d’appeler Lorenzo Monaco. Ou bien, peut-être, était-ce un style plus « moderne » que réclamait l’humaniste » Strozzi ? En ce cas, aucun étranger n’était à même de le satisfaire aussi parfaitement que l’habile et ingénieux Masolino de Panicale, renommé jusque chez les barbares Cimmériens pour l’ordonnance, la variété, et le savant naturel de ses « histoires : » sans compter que, vers ce même temps. un garçon d’une vingtaine d’années, le petit Masaccio da San Giovanni, commençait déjà à émerveiller tous les connaisseurs par l’extraordinaire talent avec lequel il réussissait à faire sortir, d’un mur ou d’un panneau, des figures qu’on aurait dites sculptées, sinon vivantes, avec une vigueur de relief égalant tous les tours de force qui avaient, jadis, immortalisé les grands noms de Zeuxis et d’Apelle ! Et le bruit courait pareillement qu’un autre génie non moins plein de promesses s’était révélé, tout à coup, dans une cellule du couvent dominicain de Fiesole. Un moine demeurait là, un certain Frate Giovanni, qui, après s’être essayé dans l’enluminure, s’était mis à décorer les cloîtres de son couvent, et, tout de suite, avait semblé