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réalisation. La Turquie régénérée sera peut-être propre un jour à remplir ce rôle ; il est douteux qu’elle le soit et que les États balkaniques s’y prêtent dès maintenant. Les têtes, en effet, continuent de fermenter ; les idées abondent et s’opposent les unes aux autres ; le moment de la conciliation définitive n’est peut-être pas encore venu. Certes, la France peut contribuer pour sa part à préparer et à hâter le dénouement, et nous pensons bien qu’elle s’y emploie de son mieux. Si à un moment donné, non pas une autre puissance, mais toutes, ou du moins la plupart d’entre elles, lui demandaient de sortir du rang et de faire une proposition, elle devra se prêter à une mission aussi honorable pour elle. Mais nous n’en sommes pas là.

Au surplus, tout le monde veut la paix : l’incident qui vient de se produire entre l’Autriche et la Serbie, à propos d’un discours de M. Milovanovitch, en est une preuve de plus. L’Europe, un de ces derniers jours, a éprouvé une vive inquiétude : elle a appris que le ministre des Affaires étrangères de Serbie avait prononcé devant la Skoupchtina un discours dont l’Autriche se jugeait offensée et au sujet duquel elle demandait des explications. Si ces explications ne lui étaient pas données, ou si elle ne paraissaient pas suffisantes, son ministre à Belgrade serait rappelé, et il pourrait en résulter les plus graves conséquences. A l’émotion générale provoquée par l’incident s’ajoutait une extrême surprise, car l’Europe connaît M. Milovanovitch et elle le regarde comme incapable d’une incartade, en tout temps sans doute, mais encore plus au moment actuel où la moindre imprudence déchaînerait des tempêtes. Ceux mêmes qui ne connaissaient pas encore M. Milovanovitch ont appris à le connaître dans ces derniers temps, car il vient de faire dans les principales capitales de l’Europe un voyage dont le but était de chercher pour son pays des concours et des sympathies. M. Milovanovitch a produit partout la meilleure impression : on a vu en lui un patriote ardent, passionné même, mais avisé et circonspect, se rendant parfaitement compte de la politique de toutes les puissances et animé d’un grand bon sens. A Belgrade, il représente le parti de la modération. Si sa tête s’était subitement enflammée au contact des autres, il fallait en conclure que le peuple serbe était arrivé à un état d’exaltation tel que les plus sages en subissaient la contagion et n’étaient plus maîtres d’eux-mêmes. Alors tout était à redouter. Mais qu’avait donc dit M. Milovanovitch, ou plutôt que lui reprochait-on d’avoir dit ? Les dépêches des journaux lui attribuaient des propos qui, s’ils avaient été exacts, auraient produit à Vienne une émotion légitime : par exemple que l’Autriche