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dans cette matinée, il fit acte d’autorité. Une lettre de sa main adressée à l’abbé Terray, contrôleur général, lui prescrivait de distribuer aux pauvres de Paris une somme de 200 000 livres, afin qu’ils priassent pour le Roi : « Si vous trouvez, ajoutait-il, que ce soit trop, vu les besoins de l’État, vous les retiendrez sur ma pension et sur celle de Madame la Dauphine. » Cet ordre et les termes de ce billet, connus et publiés sur l’heure, excitaient déjà de toutes parts un attendrissement général.

Vers deux heures de l’après-midi, un fracas prolongé, « absolument semblable à celui du tonnerre, » ébranla soudain les échos du palais silencieux ; des pas nombreux, précipités, résonnèrent aussitôt après dans l’antichambre de la Dauphine. C’était le flot des courtisans qui désertaient en masse l’appartement du roi défunt, pour se ruer vers le nouveau maître. Louis XVI ni Marie-Antoinette ne se trompèrent au bruit. D’un mouvement spontané, ils tombèrent à genoux, levèrent leurs mains au ciel : « Mon Dieu, s’écrièrent-ils, guidez-nous, protégez-nous, nous régnons trop jeunes ! » D’après quelques récits, le jeune prince, bouleversé, perdit un moment connaissance. En revenant à lui, il se jeta dans les bras de sa femme, la serra sur son cœur[1] : « Quel fardeau ! lui dit-il, mais vous m’aiderez à le supporter. » Il resta ensuite un moment comme écrasé, les deux poings sur le front, et on l’entendit répéter : « Quel fardeau !… À mon âge !… Et l’on ne m’a rien appris ! »

Cette scène fut courte. Les devoirs commençaient, et tout d’abord les plus pressans, les devoirs d’étiquette. La comtesse de Noailles entra, pria Leurs Majestés de quitter leur chambre exiguë, pour venir, dans une pièce plus vaste, agréer les hommages des princes du sang et des grands officiers. Debout, appuyés l’un sur l’autre, la Reine tenant son mouchoir sur les yeux, ils reçurent ces premières visites. Puis ce fut un message du duc de La Vrillière, ministre de la maison du Roi ; sur une large feuille de papier, il avait inscrit « à mi-marge » les questions dont la solution lui paraissait urgente au sujet du cérémonial. Louis XVI prit la note, l’étudia et, de sa main, écrivit les réponses avec calme et justesse d’esprit. Il s’occupa ensuite des préparatifs du départ, car une règle absolue lui interdisait

  1. Réflexions historiques sur Marie-Antoinette, par le Comte de Provence, manuscrit publié par M. E. Daudet dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1904.