la lettre qu’un page irait porter, dans sa terre d’Arnouville, au futur directeur du cabinet du Roi.
Cette lettre, souvent reproduite, est, dans sa naïve modestie, l’expression trop fidèle des intimes sentimens du Roi, pour que je puisse me dispenser d’en donner le texte complet : « Dans la juste douleur qui m’accable, et que je partage avec tout le royaume, j’ai de grands devoirs à remplir. Je suis Roi, ce nom renferme bien des obligations, mais je n’ai que vingt ans et je n’ai pas les connaissances qui me sont nécessaires. Je ne puis travailler avec les ministres, tous ayant vu le Roi pendant sa maladie. La certitude que j’ai de votre probité et de votre profonde connaissance des affaires m’engage à vous prier de m’aider de vos conseils. Venez donc le plus tôt qu’il vous sera possible. Sur ce… Louis, à Choisy, ce 12 mai 1774. »
Dans la chambre où étaient demeurées les princesses, les minutes qui suivirent la sortie du Roi furent pleines d’agitations et de conciliabules. Le trouble s’aggravait par suite d’une circonstance spéciale. Madame Adélaïde avait pour dame d’atours la comtesse de Narbonne, en qui elle avait toute confiance et qui passait pour être, de longue date, l’amie intime, « l’âme damnée » du duc d’Aiguillon. C’est cette dernière qui, soufflée par le duc, avait prôné auprès de sa maîtresse les mérites de Maurepas, oncle de Mme d’Aiguillon, nul choix ne pouvant mieux servir les intérêts de l’ambitieux ministre[1]. Vive fut la déception de Mme de Narbonne lorsqu’elle apprit la volonté royale ; elle mit sur-le-champ tout en œuvre auprès de la princesse pour exciter son humeur batailleuse et la [décider à l’action. Soit hasard, soit calcul, il se trouva à point nommé, pour appuyer son éloquence, un puissant auxiliaire, l’abbé de Radonvilliers, ex-sous-précepteur de Louis XVI, maintenant l’un de ses secrétaires. Naguère jésuite, depuis sorti de l’Ordre, mais sans éclat et sans rupture, c’était un homme honnête, éclairé et
- ↑ Voici ce que apporte à ce sujet la Correspondance secrète publiée par Métra : « Deux jours avant la mort de Louis XV, la comtesse de Narbonne dit à Madame Adélaïde : « Vous devez, Madame, vous attendre à la mort du Roi votre père, et sans doute Monseigneur le Dauphin ne pourra se dispenser de chasser les ministres de son aïeul ; mais il ne peut faire justice que lentement et après s’être mis au fait avec eux du courant des allaires. Il a cependant besoin de quelqu’un qui puisse le guider, et je ne vois personne qui puisse mieux remplir cette tâche que M. de Maurepas. » Cette idée fut saisie avidement par Madame Adélaïde, qui la communiqua au Roi dès que Louis XV eut fermé les yeux. »