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REVUE DES DEUX MONDES.

Jean-Frédéric Phélyppeaux, comte de Maurepas, était, pour ainsi dire, homme d’État par droit de naissance, sa famille ayant, en l’espace de cent cinquante ans, fourni, dit-on, neuf secrétaires d’État ; Pour ne citer que les deux plus récens, son grand-père, Louis de Pontchartrain, avait été, pendant quinze ans, chancelier de France sous Louis XIV, et son père, Jérôme de Pontchartrain, secrétaire d’État pour la Marine à la fin du grand règne, fit partie, dans les premiers mois, du Conseil de régence, pendant la minorité de Louis XV. Ledit Jérôme, au dire de Saint-Simon, était d’ailleurs l’incapacité même : « Infatigable aux affronts, il se tenait cramponné aux restes stériles, oisifs et muets de son ancienne place. Il n’avait de fonction que de moucher les bougies au Conseil de régence. Chacun souhaitait chassé ce triste personnage. M. le Duc d’Orléans admirait sa patience comme les autres, mais ne songeait point à le renvoyer[1]. » Saint-Simon, plus ardent et plus résolu, proposa une combinaison ingénieuse : Jérôme de Pontchartrain donnerait sa démission en faveur de son fils aîné, le jeune comte de Maurepas, qui n’avait pas encore quinze ans. Celui-ci, au début, n’aurait d’ailleurs que le titre et les honoraires ; le duc de La Vrillière, son parent, ministre de la Maison du Roi, exercerait la charge et signerait les actes, pendant que le précoce ministre apprendrait son métier. Ainsi fut fait ; le père, bon gré mal gré, se laissa mettre à la retraite, et le fils, à quatorze ans et demi, fut nommé secrétaire d’État pour la Marine. Pour la facilité des choses, on lui fit épouser la fille du duc de La Vrillière, et il logea chez son beau-père, qui fut aussi « son professeur[2]. »

Ce bizarre arrangement se soutint pendant dix années. Ce fut seulement en 1725, lorsque mourut le duc de La Vrillière, que Maurepas prit effectivement la direction de son département, auquel se rattachait alors l’administration de Paris. Grâce aux leçons de son beau-père, et plus encore de son grand-père, le vieux chancelier de Pontchartrain, il se tira d’affaire, affirme Saint-Simon, « avec tout l’esprit, l’agrément et la capacité possibles… Il est, de bien loin, le meilleur que le Roi ait eu dans son conseil depuis la mort de M. le Duc d’Orléans. » Cet éloge

  1. Additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau, 7 novembre 1715.
  2. Jérôme de Pontchartrain, ajoute Saint-Simon, se montra depuis ce moment « enragé de jalousie et de dépit contre son fils, qui lui rendait des devoirs, et rien de plus. »