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différences d’éditions et des corrections de l’auteur. M. Lanson, entre autres, M. Strowski, M. Villey enfin ont repris, précisé ces indications suggestives. Et à la question ainsi déterminée, le livre de M. Villey vient répondre d’une manière sinon définitive, tout au moins plus complète et plus satisfaisante qu’on n’avait fait jusqu’ici. « Le plus vif plaisir d’un esprit qui travaille, a dit Taine, consiste dans la pensée du travail que les autres feront plus tard. » Nul doute que, si Ferdinand Brunetière avait pu lire ces trois gros volumes, il n’eût vivement goûté ce plaisir.

« Il y a ici, — écrit M. Villey, — trois études principales : une enquête sur les sources et sur les lectures de Montaigne ; une enquête sur la chronologie des Essais ; une étude enfin sur leur évolution. » Ces trois études se commandent et s’entraînent l’une l’autre, et c’est le grand intérêt du livre de M. Villey d’avoir posé pour Montaigne le problème bibliographique et historique dans toute son étendue, et de l’avoir envisagé sous tous ses aspects. Quels livres a lus Montaigne ? et à quelle époque ? et comment les a-t-il utilisés ? A quelles dates respectives peut-on rapporter la composition des divers chapitres des Essais ? Et quel jour enfin cette enquête peut-elle jeter sur l’histoire de la pensée et de l’art de Montaigne ? C’est à ces trois questions que le jeune érudit s’est efforcé de répondre.

A en croire Montaigne, sa « librairie » était « des belles parmi les librairies de village. » Elle contenait « mille volumes de livres, » à ce qu’il nous dit lui-même. Quels étaient ces mille volumes ? Si l’on parvenait à le savoir, on aurait, du même coup, déterminé, à bien peu près, toutes les lectures de l’auteur des Essais. Car si Montaigne, comme nous tous, n’avait pas lu, ce qui s’appelle lu, tous les livres de sa bibliothèque, en revanche, étant donné ses habitudes d’esprit, et celles aussi de son temps, il est peu probable qu’il ait beaucoup lu en dehors de chez lui. En tout cas, ses lectures essentielles seraient sans nul doute représentées sur le catalogue de sa « librairie. »

Pour reconstituer, au moins partiellement, ce cataloguerions disposons de divers moyens. D’abord, quelques-uns des livres de Montaigne existent encore par le monde : ils sont aisément reconnaissables, Montaigne ayant l’habitude de mettre son nom sous le titre de ses volumes. Le docteur Payen, qui était un fervent de l’auteur des Essais, en avait réuni un certain nombre qui ont été acquis, avec tous les documens de sa collection, par la