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vraisemblable que le chapitre tout entier, Que philosopher c’est apprendre à mourir, est des premiers mois de cette même année. Et ce n’est pas la seule indication qu’il donne sur son âge, — sur ses âges successifs, pour mieux dire, — et partant, sur les datés respectives de ses « fantaisies. » D’autres fois, ce sont des allusions à tels faits de sa biographie personnelle, ou à tels événemens contemporains qui permettent de dater avec une précision plus ou moins grande tels ou tels chapitres ou fragmens de chapitre de ses Essais. Et ces renseignemens directs sont si précieux pour nous que nous en voulons presque à Montaigne de n’en avoir pas, plus qu’il n’a fait, multiplié le nombre.

Car, au total, ces points de repère sont bien clairsemés, et ils n’ont pas toujours toute la précision désirable : tout au plus permettent-ils de dater une douzaine de chapitres, — sur 94, — de la première édition. C’est ici qu’intervient, pour combler ces lacunes, l’utilisation des lectures de Montaigne, et des sources auxquelles il a puisé. « Pour subvenir un peu, dit quelque part Montaigne, à la trahison de ma mémoire, et à son défaut, si extrême, qu’il m’est advenu plus d’une fois de reprendre en main des livres comme récens et à moi inconnus, que j’avais lus soigneusement quelques années auparavant, et barbouillés de mes notes, j’ai pris en coutume, depuis quelque temps, d’ajouter au bout de chaque livre (je dis de ceux desquels je ne me veux servir qu’une fois) le temps auquel j’ai achevé de le lire, et le jugement que j’en ai retiré en gros, afin que cela me représente au moins l’air et idée générale que j’avais conçue de l’auteur en le lisant[1]. » Montaigne disait vrai, et, par exemple, nous possédons encore son exemplaire des Commentaires de César, conservé à la Bibliothèque de Chantilly : le livre, copieusement annoté, nous apprend qu’il a été lu du 25 février au 21 juillet 1578. Or, les Essais nous parlent très souvent de César, — quatre-vingt-douze fois, a compté M. Villey, — et, en général, avec une ferveur d’enthousiasme qui se sent d’une lecture fort récente ; deux longs chapitres, intitulés l’Histoire de Spurina, et Observations sur la manière de faire la guerre de Julius Cæsar, sont visiblement inspirés par cette lecture : il y a donc lieu de les rapporter à cette date de 1578 ; deux autres chapitres, moins sûrement peut-être, surtout pour le second, mais très

  1. Essais, livre II, chap. X.