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orner, égayer, souvent surcharger la matière de ses premiers livres ; et d’autre part, il a tiré de sa « librairie, » et de lui-même, treize nouveaux essais, conçus sur le libre et vivant modèle des derniers qu’il eût composés pour son édition de 1580. Ce travail achevé, il confia le soin de procurer l’édition nouvelle, non plus à l’imprimeur bordelais Simon Millanges, mais au plus grand imprimeur de Paris, Abel l’Angelier. Cette édition de 1588 est celle qui a consacré la gloire de Montaigne.

Et de 1588 jusqu’au moment de sa mort, Montaigne a traité son livre comme, de 1580 à 1588, il l’avait déjà une première fois traité : l’enflant, sous couleur de l’enrichir, avec une abondance un peu sénile, de tout ce que ses lectures et ses expériences nouvelles lui suggèrent de centons et de saillies imprévues, mais aussi corrigeant et remaniant la forme de son œuvre en artiste fort de son succès et conscient de son originalité propre. On sait que ces corrections et ces additions manuscrites ont passé, en grande partie tout au moins, dans l’édition posthume de 1595, publiée par Mlle de Gournay, mais qu’elles nous ont été conservées sous leur forme originale et autographe dans l’exemplaire qui a servi de base à l’ « Edition municipale » des Essais, et que l’on appelle communément « l’Exemplaire de Bordeaux[1]. »

Telles sont, en gros, les indications, pour ainsi dire toutes matérielles, que la méthode suivie par M. Villey lui a fournies sur le labeur de Montaigne durant les vingt dernières années de sa vie. Elle lui en a fourni d’autres d’un intérêt plus général. Et, en utilisant ses recherches, on peut désormais se figurer avec précision l’évolution intellectuelle et morale, et même littéraire, dont les Essais sont le synthétique témoignage.

  1. Il serait bien à souhaiter que l’on fit pour ce précieux exemplaire ce qui a été fait si heureusement, il y a quatre ans, pour le manuscrit des Pensées de Pascal : je veux dire que l’on en publiât une reproduction en phototypie, qui fût, pour l’Édition municipale, exactement ce qu’est, pour l’édition critique des Pensées qu’a publiée M. G. Michaut, la belle reproduction entreprise et dirigée par M. Léon Brunschvicg. La librairie Hachette a lancé, il y a quelques mois, un prospectus-spécimen destiné à provoquer et à recueillir le nombre de souscriptions indispensables pour mener à bien cette publication, dont l’exécution éventuelle a été confiée à M. Strowski. Les listes de souscription seront prochainement closes, et l’ouvrage ne sera publié que si les souscriptions atteignent le minimum nécessaire. Les fervens des Lettres françaises se doivent à eux-mêmes d’encourager et de faire aboutir cette généreuse initiative.