Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représente comme son ennemi et comme son offenseur. Dans l’autre camp, lutte Mme de Maurepas, qui défend son neveu avec sa ténacité coutumière, s’efforce au moins d’épargner au ministre un affront personnel et d’ajourner sa chute jusqu’à l’époque du remaniement général. Maurepas joue un jeu plus obscur ; sans doute soutient-il son parent, mais mollement et sans conviction, soit qu’il éprouve, comme on l’a dit, un peu de jalousie méfiante à l’égard d’un collègue ambitieux et hardi, soit plutôt que, jugeant sa perte inévitable, il redoute d’user son crédit en faveur d’une cause sans espoir. Dans ce conflit, Louis XVI flotte d’un parti à l’autre, s’emporte par momens et ne sait que résoudre. Le Journal de Véri le met en scène avec Maurepas, écoutant d’un air dépité l’éloge que ce dernier lui fait de son neveu, et criant soudain brutalement, en frappant du Doing sur la table : « Eh ! je le sais, qu’il fait bien, et c’est ce qui me fâche !… Mais la porte par laquelle il est entré !… Et les troubles que sa haine[1]a occasionnés ! » Maurepas souriait à cette sortie et n’insistait pas davantage.

Ce fut le duc lui-même qui, informé, par les soins de Maurepas sans doute, du coup suspendu sur sa tête, voulut, en homme d’esprit, précipiter le dénouement. Le 2 juin, Moreau, son ami, se présentait de bon matin à l’hôtel d’Aiguillon et trouvait porte close. Il forçait la consigne et voyait d’Aiguillon tout seul : « Je crains, lui disait-il, que vous ne soyez occupé aujourd’hui ; je reviendrai demain, si vous voulez, et nous travaillerons. — Ni aujourd’hui ni demain, répliquait le duc en souriant, je ne suis plus de ce monde. » Sur quoi, il lui confiait qu’il comptait, le jour même, donner sa démission, « ayant été averti qu’on la désirait[2]. » Dans l’après-dînée, en effet, il se rendait au Conseil, et déposait entre les mains du Roi son double portefeuille.

Cette chute, plus ou moins volontaire, consacrait aux yeux du public le triomphe de la Reine. C’était, dans tous les cas, comme écrit Mercy-Argenteau, « une grande preuve de son crédit. » Quelques personnes regrettèrent cependant qu’elle en eût fait l’essai au profit d’une rancune et que son début politique eût eu pour objectif un acte de vengeance. Elle eut du moins, pour le moment, le mérite de s’en tenir là, et elle n’exigea

  1. Allusion aux luttes de d’Aiguillon contre La Chatolais.
  2. Souvenirs de Moreau.